L’Argentine offre aux Américains et aux Européens un « moment d’enseignement ».
Par Ilya Shapiro (*), depuis les États-Unis
Article publié en collaboration avec le Cato Institute
La présidente argentine Cristina Kirchner a prêté serment pour son second mandat, au début du mois.
Avec l’Obamacare à la Cour suprême, les primaires de la course à la présidence qui battent leur plein, et le refus persistant du gouvernement fédéral à libérer l’économie et donc à permettre la création d’emplois, tout cela nous fait facilement oublier que le monde existe au-delà de l’Amérique du nord, avec ses propres problèmes économiques et ses élections présidentielles.
Prenez l’Argentine, par exemple, un pays proche et cher à mon cœur depuis que j’y ai étudié il y a près de 15 ans. Il y a un siècle, l’Argentine évolua d’un régime oligarchique vers une démocratie toujours plus libéral, ce qui en faisait l’un des pays les plus riches au monde. En 1930, ce pays avait une économie classée au septième rang mondiale, devançant les ex-colonies du nouveau-monde comme le Canada et l’Australie, attirant des vagues d’immigrants en provenance d’Italie, d’Espagne et d’Europe orientale. Comment un pays si riche en ressources naturelles et humaines en vint à dégringoler du sommet où il se trouvait pour devenir la grosse blague des économistes? (Il existe quatre types de pays dans le monde: développés, en développement, le Japon et l’Argentine.)
La réponse en est le corporatisme autarcique qui fut la règle sous le règne de Juan Domingo Perón, en imposant une politique industrielle qui détruisit le florissant secteur de l’import-export, ainsi que les chemins de fer nationalisés, en donnant aux syndicats tous les pouvoirs qu’ils voulaient (à tel point qu’ils ont même commencé à entrer en conflit avec Perón – ça vous est familier)? Combinez cette folie macro-économique – qui conduit forcément à des troubles sociaux et à des réactions gouvernementales répressives – avec une « troisième voie » de politique étrangère idiosyncratique et de plans de protection sociale fondés sur la redistribution, et vous faîtes du joyau de l’ancien empire d’Espagne l’un des États les plus faibles du groupe latino-américain.
Les populismes sauvages de droite et de gauche ont suivi, seulement interrompus par une série de coups d’État – je me souviens même du programme de ma classe d’histoire argentine disant « primer golpe de estado; segundo golpe de estado; tercer golpe de estado… » [1] - résultant en une « Guerre sale » entre les deux extrêmes idéologiques qui a pris fin avec l’excursion désastreuse du triumvirat militaire sourdingue dans les îles des Malouines. (Avec pour preuve que ces messieurs pensaient que le président Reagan les aurait épaulés au détriment de la Grande-Bretagne de Thatcher). La démocratie fit un retour pour de bon en 1983, sauf pour une brève période illusoire dans les années 1990, mais la maison économique de l’Argentine n’a jamais été remise en ordre. Rappelons-nous que le pays fut l’exemple type de l’hyperinflation dans les années 1980 et même maintenant l’inflation tourne autour de 20% (personne ne le sait avec certitude puisqu’on ne peut faire confiance aux statistiques officielles).
Après une crise économique aux proportions de Grande Dépression (appelée simplement La Crisis) au début des années 2000, qui donna au pays une très douloureuse, longue mais nécessaire correction – alignant le peso sur le dollar américain, entre autres réformes nécessaires - , un président accidentel venu du Sud, Nestor Kirchner, commença à réimposer sa nouvelle version de péronisme. Cela comprenait de faire défaut sur la dette souveraine, d’instaurer un contrôle étatique du secteur de l’énergie, l’élargissement des programmes sociaux, et le rapprochement d’avec des dirigeants comme le président du Venezuela Hugo Chavez. En décidant de ne pas concourir pour sa réélection, M. Kirchner a remis la présidence à son épouse, Cristina Fernandez de Kirchner, qui a essentiellement poursuivi sa politique hétérodoxe tout en gouvernant avec une main de plus en plus lourde contre les manifestants et les médias.
Il y a quelques semaines, les Argentins ont réélu massivement Fernandez, en repoussant facilement les groupes d’opposition qui ne se sont jamais associés en un seul mouvement ou derrière un même candidat. Ce résultat ne fut pas surprenant parce que l’on s’attendait à ce que l’économie croisse de huit pour cent cette année. La classe moyenne s’est largement remise de la crise bien que la plupart des économistes considèrent la situation actuelle comme intenable, avec le pays qui s’oriente vers un réveil qui s’apparente à celui dont il a déjà fait face à la fin des années 90 (rappelons-nous les cycles tragiques que le pays a enduré).
L’Argentine offre à l’Amérique un « moment d’enseignement », pour reprendre l’une des expressions favorites de notre président [Obama]. Comme l’Argentine en a eu l’expérience de nombreuses fois au cours du siècle dernier, les États-Unis se retrouvent à un carrefour. Continueront-ils à défendre les libertés individuelles, l’innovation et la mobilité sociale, ou bien les Américains échangeront-ils cette liberté pour s’arroger des droits toujours plus larges et d’autres protections évanescentes censés les protéger des vicissitudes de la vie? Comme Mary Anastasia O’Grady l’a écrit dans un article dont on ne peut qu’espérer qu’il ne sera pas prophétique:
En cela, l’expérience de Mme Kirchner en Argentine est instructive. Elle a abandonné le libre marché, en apparence dans l’intérêt de la justice sociale. Le résultat prévisible a été une plus grande injustice, plus de pauvreté, et la concentration croissante des richesses et du pouvoir dans les mains de la classe politique et de ses amis. Les efforts pour rendre l’économie compétitive ont été à maintes reprises voués à l’échec alors même que le niveau de vie baissait.
L’argentine teste la théorie selon laquelle les démocraties ont une capacité inhérente à corriger la portée excessive de l’État. Non seulement elle a été incapable de se sortir du trou noir du corporatisme, mais elle s’y est trouvée aspirée encore plus.
Ou, comme Cristina Fernandez le dit à la veille de sa réélection, « je ne sais pas si Obama a lu Perón, mais laissez-moi vous dire, qu’il semble vraiment que oui. »
—-
Sur le web
Traduction : JATW pour Contrepoints.
(*) Ilya Shapiro est Senior Fellow en études constitutionnelles pour le Cato Institute et rédacteur en chef de la Cato Supreme Court Review.
Note:
[1] « Premier coup d’État; deuxième coup d’État; troisième coup d’État, etc. »