Quel est l’état d’esprit de Luis de Guindos, le nouveau ministre de l’économie espagnol, et quelles réformes va-t-il engager?
Un article de Navarra Confidencial, depuis l’Espagne
Un ministre «autrichien»
La crise actuelle n’est pas l’échec du modèle capitaliste. Beaucoup pensent que le marché libre devrait être remplacé par d’autres modèles qui ont manifestement échoué par le passé comme le communisme, le fascisme, le nazisme ou autres versions défectueuses du socialisme. Mais ce doit être l’échec du modèle keynésien de la démocratie sociale comme du modèle économique proposé par l’École de Chicago. Autrement dit, c’est l’échec du modèle représenté par Greenspan, la Réserve fédérale, le FMI et les banques centrales européennes. S’il y a un gagnant pour chaque défaite, alors le gagnant de cette crise serait l’école autrichienne de Ludwig von Mises et de Hayek, qui ont critiqué à la fois le keynésianisme et le monétarisme de Chicago. Ce qui importe ici de savoir c’est que le ministre de l’économie espagnol Luis de Guindos s’inscrit dans la droite lignée des économistes autrichiens.
L’explication de la crise actuelle selon le modèle autrichien
La théorie autrichienne du cycle économique affirme que l’expansion du crédit n’est pas soutenue par l’épargne, mais par la manipulation des taux d’intérêt en baisse, l’augmentation artificielle de la quantité de monnaie en circulation dans l’économie, ce qui finit par créer une bulle économique. Les investissements n’ont pas été faits, et cette distorsion des taux d’intérêts les ont détournés vers des projets non rentables fondés sur la surévaluation générale des produits financiers de tous types (dette, actions, immobilier). Ce qui finit par générer des bulles financières qui finissent inévitablement par exploser. Lorsque la bulle éclate, les taux d’intérêts (rappelez-vous ce qui se passe avec la prime de risque) sont remis au niveau du marché, bien au-dessus de ce que les banques centrales ont établi étant donné la rareté du capital. À ce moment précis, se couper d’un seul coup du flux de crédit à taux élevé va précipiter la crise et provoquer l’effondrement de tous ces faux investissements.
Comprendre Guindos : Un article à relire
Tout ce qui vient d’être dit est pris pour allant de soi par le nouveau ministre de l’économie espagnol dans un article intéressant publié début 2010 au journal El Mundo:
Si à un moment donné le taux d’intérêt du marché est inférieur à celui qui résulte de son état préféré du moment, ce que l’on appellerait son taux naturel, en raison d’une politique monétaire trop laxiste, alors les entrepreneurs prolongeront leurs processus de production, en investissant massivement dans les premières étapes du dit processus. Cela se traduit dans un premier temps par un état d’euphorie, qui conduit à une récession au moment où les entrepreneurs ont compris que ces plans de production ont désorganisé les préférences des consommateurs.
La théorie autrichienne reste parfaitement applicable, par exemple, au cycle du logement en Espagne ces dernières années. L’existence de taux d’intérêts très bas, et la croyance dans sa permanence, a conduit à une expansion de la construction résidentielle, qui dés le départ a créé un nombre de logement bien supérieur à ce qui était strictement nécessaire à la demande. Autrement dit, nous avons construit ces cinq dernières années, plus de maisons que nous devrions avoir construit en une décennie, et aujourd’hui nous avons un énorme stock de logements invendus. Ainsi, on est passé d’un état d’euphorie à la dépression au moment où les promoteurs ont réalisé que leurs plans de construction ne coïncideront pas avec la demande effective du logement et cela sur une très longue période.
La solution de facilité pour traiter d’une telle situation, c’est une politique de relance keynésienne, qui consiste à faire plus de dépenses dans l’avenir, en procédant à des baisses supplémentaires des taux d’intérêts, à des dépenses publiques supplémentaires et à des incitations fiscales temporaires. Toutefois, appliquer une solution keynésienne à un problème de type autrichien ressemble bien à une sorte de fuite en avant, ce qui permet de sauver la situation à court terme au détriment des problèmes croissants repoussés dans l’avenir.
La seule véritable solution pour les Autrichiens, c’est de reconnaître que des erreurs ont été commises et de nettoyer les excès de valorisation des investissements produits pendant la période d’euphorie, afin de retourner à une situation où les taux d’intérêts reflètent la structure actuelle réelle des préférences des individus. C’est un débat similaire qui s’est tenu il y a plus de 70 ans entre Hayek et Keynes. À court terme, le vainqueur a été l’économiste britannique, mais sur le moyen terme, il est clair que la raison était du côté autrichien.
Mauvaises nouvelles: le nouveau ministre nous claironne une nouvelle récession
Il ya un mois maintenant, les responsables de notre zone économique ont fait le diagnostic suivant, à la conférence « Internationalisation, multinationales et marché espagnol » organisée par la fondation Ramón Areces : « Le quatrième trimestre est un trimestre de récession, dans lequel l’économie espagnole aura une croissance négative après avoir stagné au troisième trimestre. » En outre Guindos a qualifié le premier semestre de 2012 de « complexe ». Cela signifie que De Guindos vient de reconnaître que l’économie espagnole est encore en récession au moment où il prendra la relève au Ministère de l’Economie.
Austère, mais réformateur
Pour compléter le profil du nouveau pilote économique et avec la permission d’Angela Merkel, il est bon de mentionner qu’il a été le président de l’exécutif chez Lehman Brothers pour l’Espagne et le Portugal en 2006 (où on lui reprochait ses ambitions progressives, alors qu’il aurait bien pu être le dirigeant de Citigroup ou de Bank of America). On peut ajouter à la vue de ses articles, conférences et autres apparitions dans les médias, que nous avons affaire à un gestionnaire austère, mais réformiste. En fait, de Guindos a dit à plusieurs reprises que l’austérité ne nous sortira pas toute seule de la crise. Quelles réformes va-t-il engager et quelles mesures va entreprendre le nouveau ministre de l’économie? Eh bien, s’il est possible de faire quelques prédictions, déduisons-les des citations suivantes:
- « Nous avons besoin d’un nouveau contrat [de travail] permanent, en harmonie avec le contrat unique afin de réduire les contrats temporaires. »
- « Dans le processus de consolidation des établissements financiers, la deuxième ou troisième étape seront les plus importantes. »
- « La situation financière des municipalités et régions autonomes est très inquiétante. Il se peut que toutes les communautés devront inévitablement faire un plan de sauvetage en accord avec le Trésor Public. »
- « L’espoir pour l’Espagne est qu’il existe une politique économique qui met en œuvre l’austérité nécessaire et qui encourage la croissance économique grâce aux réformes du travail, de l’économie, du secteur financier et des marchés de services, en supprimant les obstacles et barrières aux réformes des marchés de la location. »
- « Nous devons parvenir à une politique énergétique relativement raisonnable, en nous attaquant à la source des déficits tarifaires et en les corrigeant. »
- « Je soutiens la décentralisation des négociations collectives et l’augmentation des accords d’entreprise. »
- « Nous devons essayer de rationaliser les prestations de services publics qui sont importantes pour le bien-être social, comme l’éducation et la santé. »
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Un article de Navarra Confidencial, un journal d’opinions en ligne du royaume de Navarre pour l’Espagne.
Traduction : JATW pour Contrepoints.