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Corine Lesnes, correspondante du quotidien Le Monde à Washington signait en novembre dernier un papier éclairant : « Ingouvernable Amérique ». La journaliste donnait des chiffres qui interpellent sur la crise de légitimité de la classe politique américaine. 90% des américains déclarent avoir perdu confiance dans leur gouvernement et 75% d’entre eux estiment que l’argent achète les résultats électoraux.
Le poids des lobbys n’y est pas pour rien. La dépendance des parlementaires à l’égard de leurs donateurs est problématique. A un million de dollar en moyenne la campagne d’un candidat à la Chambre des Représentants, on devine le niveau d’exposition aux demandes de contreparties.
Évidemment la France n’en est pas encore là. Mais la corruption rampante des élus locaux, amplifiée par la décentralisation et les absences d’alternance politique, est inquiétante. Tout comme le poids croissant des lobbys auprès des parlementaires et des formations politiques.
La banalisation de la qualification « tous pourris » dans le langage commun ne doit pas être prise à la légère. Elle témoigne d’un doute profond dans le système démocratique confirmée par la hausse continue de l’abstention lors des rendez-vous électoraux.
Le sentiment (exagéré) de corruption généralisée allié à celui d’impuissance des responsables politique à résoudre les problèmes est dévastateur.
Les raisons sont multiples. Tout d’abord la dérive de la démocratie vers la médiocratie. Parce que la représentation nationale porte de plus en plus mal son nom tant du fait de la professionnalisation de la classe politique que par son mode de renouvellement endogène. Les salariés d’élus d’aujourd’hui, qui souvent n’ont jamais connu d’autre expérience professionnelle, constituent désormais le vivier des élus de demain.
Ensuite parce que les procédures longues et complexes de décision sont présentées de plus en plus comme des archaïsmes générateurs de paralysie. A la notion de savant équilibre des pouvoirs formalisée dans la Constitution américaine de 1787, on voit émerger celle de réactivité, de nécessité de pouvoir prendre des décisions rapides dans un monde qui va toujours plus vite.
Les critiques adressées en ce sens à la Constitution américaine, la plus vieille du monde, sont transposables aux traités européens dont l’encre est à peine sèche. Le risque naturel serait de modifier l’architecture institutionnelle vers un système simplifié, où la concentration des pouvoirs l’emporte. Plus efficace certes mais surtout, moins démocratique.
A cet égard, le succès du capitalisme « à la chinoise » interpelle. Comme si, outre la régression sociale, la mondialisation devait immanquablement engendrer dans son sillage une régression démocratique, nouvelle condition de la compétitivité économique.
Corine Lesnes fait ainsi état des propos de Peter Orszag, le premier directeur du budget de Barack Obama dans l’hebdomadaire de gauche The Nation « Aussi radical que cela puisse paraître, nous devons répondre à la paralysie de nos institutions politiques en les rendant un peu moins démocratiques ».
Les propos peuvent paraître choquants mais leur franchise tranche avec l’hypocrisie européenne qui consiste à retirer le contrôle de l'équilibre des budgets aux parlements nationaux non pour le confier au parlement européen mais à des juges.
Aussi bien dans l’ancien monde que dans le nouveau, le XXIème siècle ne se traversera pas sans une refondation démocratique. Se réformer ou disparaître car la démocratie n’est pas un régime éternel.
Le Tea Party (TP) dans un paradoxe dont il a le secret aime à dire que les États-unis sont une république mais pas une démocratie. Une affirmation qui lui permet de réclamer le retour à autre lecture de la Constitution de 1787, nettement plus défavorable à l’Etat fédéral. Comme le Front National chez nous, le TP pose de bonnes questions mais apporte de mauvaises réponses. Il reste qu’une décalcification des textes est nécessaire face à un monde qui a beaucoup changé.
Ainsi, d’ores et déjà, la feuille de route européenne pourrait s’inspirer de l’histoire des États-Unis. De ce moment fondateur où à l’issue de la guerre d’indépendance, les 13 colonies britanniques d’Amérique du Nord, plutôt de faire route à part, choisirent de mutualiser leurs dettes pour fonder une grande nation.