Par un arrêt du 26 septembre 2011 (Nintendo / Akro – Absolute Games – Divineo – FL Games), la Cour d’appel de Paris a prononcé de lourdes sanctions contre des revendeurs de « linkers » en considérant que ces derniers avaient commis les délits suivants :
· Atteinte aux mesures de protection techniques équipant les consoles et les cartes de jeu authentique Nintendo DS (article L.331-5 du Code de la propriété intellectuelle) ;
· Contrefaçon de logiciel (article L.122-6 du Code de la propriété intellectuelle ;
· Importation d’une marchandise présentée sous une marque contrefaite (article L.716-9 du Code de la propriété intellectuelle).
Nintendo faisait valoir dans cette affaire que :
« …les consoles Nintendo DS et Nintendo Lite sont des systèmes de jeu vidéo portables à double écran à cristaux liquides et fonctions tactiles ; que les cartouches Nintendo DS contiennent un jeu qui peut être utilisé uniquement sur leur console ; que chaque jeu dans le commerce est protégé par la loi sur les droits d’auteur et, que pour pouvoir utiliser un jeu sur le système Nintendo DS, il est nécessaire d’introduire une carte contenant le jeu Nintendo DS ; qu’une fois le système allumé, le processus d’authentification commence à vérifier si la carte introduite contient le code de démarrage du chargement ; que lorsque la carte de jeu Nintendo est introduite le logo Nintendo s’affiche, et le système charge la partie adéquate des programmes mémorisés sur la carte de jeu Nintendo DS, ce qui permet ensuite de démarrer le jeu ;
Qu’une série de mesures techniques de protection est prévue sur les systèmes Nintendo DS afin d’empêcher la copie non autorisée des jeux et d’empêcher l’utilisation de jeux contrefaits sur la console Nintendo DS ; que c’est ainsi que les consoles et les cartes de jeux Nintendo DS sont équipés de protection de nature physique (mécaniques et électroniques) et de nature informatique ;
Que le linker se présente sous la forme d’une carte au format et à la connectique identiques à ceux des cartes de jeux authentiques Nintendo DS, sur laquelle des jeux vidéo contrefaits disponibles sur internet peuvent être chargés ; qu’une fois insérés dans la console le linker trompe celle-ci et entame avec elle un dialogue qui fait croire à la console qu’il s’agit d’une carte de jeu authentique ; que sans ce dispositif les jeux contrefaits, disponibles uniquement sous une forme dématérialisée sur internet, ne seraient d’aucune utilité ; qu’en effet une console Nintendo ne peut lire un jeu piraté sans l’intermédiaire d’un linker, le dit dispositif démultipliant le piratage à l’infini, dont il est le vecteur premier, et cela au prix d’une violation consciente et répétée des droits de Nintendo par ceux qui commercialisent ces dispositifs litigieux ;
Que les mesures techniques qui fonctionnent comme des verrous de sécurité sont protégées par le droit de la propriété intellectuelle, lequel punit toute personne ayant procuré ou proposé à autrui des moyens conçus ou spécialement adaptés pour porter atteinte à une mesure technique efficace ;
Que le droit français au titre des mesures de protection techniques s’applique aux œuvres logicielles et aux œuvres non logicielles ;
Que les mesures techniques équipant un jeu vidéo bénéficient de ces deux régimes de protection ;
Que le jeu vidéo est une œuvre complexe dont chaque composant est soumis à un régime propre ;
Qu’ainsi la partie logicielle du jeu est régie par le droit d’auteur spécial du logiciel et les autres aspects du jeu, notamment ses aspects audiovisuels, graphiques et sonores, sont protégés par les règles générales du droit d’auteur ;
Que les aspects non logiciels sont ceux que la société Nintendo cherche à protéger au travers des mesures techniques puisqu’ils caractérisent le jeu ;
Qu’or les linkers portent atteinte à cette dimension non logicielle du jeu vidéo et trompent la console Nintendo DS en lui faisant croire que les jeux piratés qu’ils contiennent sont des jeux authentiques et l’utilisateur peut ainsi jouer à une multitude de jeux contrefaits qu’il a obtenus gratuitement sur internet. »
Nintendo faisait également valoir que :
« les consoles Nintendo fonctionnent grâce à des logiciels dont Nintendo détient les droits en sa qualité d’auteur, que lesdits logiciels se trouvent à la fois sur la console et sur les cartes authentiques comportant les jeux vidéo ; que les linkers pour interagir avec la console Nitendo DS, n’ont pu être mis au point qu’en décompilant les logiciels internes de la console et des cartes de jeu afin d’en comprendre leur fonctionnement notamment en transformant leur code objet en code source et ce sans autorisation de la société Nintendo. »
Nintendo reprochait par ailleurs aux prévenus « d’avoir contrefait par imitation d’une part, la marque NINTENDO, laquelle d’affiche à l’issu du processus d’authentification console/carte … et, d’autre part, la marque NINTENDO DS sur les emballages des linkers ».
Nintendo reprochait enfin aux prévenus de s’être rendus « coupables du délit de complicité de contrefaçon de droits d’auteurs, par fourniture de moyen, ces derniers ayant rendu possible matériellement par la vente des linkers la contrefaçon de jeux laquelle n’existerait pas sans ces dispositifs ».
1. Sur le délit d’atteinte aux mesures de protection techniques équipant les consoles et les cartes de jeu authentique Nintendo DS
Sur ce point, la Cour d’appel s’est fondée sur le rapport d’un collège d’experts pour considérer que le délit de commercialisation de moyens de nature à porter atteinte à une mesure de protection d’une œuvre était établi :
« La cartouche de jeu contient des données d’enregistrement qui, si elles ne sont pas présentes et correctes, empêchent que le jeu soit intégralement copié sur la console et, dès lors, son lancement est immédiatement interrompu ; qu’il est tout aussi incontestable que ce dispositif est destiné à empêcher ou limiter des actes illicites vis-à-vis des œuvres qui ne sont pas autorisés par le créateur, notamment la prévention ou la limitation des copies non autorisées des jeux authentiques ; qu’en effet selon l’expertise la tentative d’exécution d’un jeu vidéo, tout simplement téléchargé sur internet et copié sur la carte de développement appliquée à la console a provoqué l’arrêt dudit dispositif.
[…]
Il est ainsi démontré que les linkers contournent les mesures de protection sophistiquées conçues et mises en œuvre par NINTENDO…tous les linkers quelqu’ils soient, reproduisent obligatoirement le fichier NDLF puisqu’il est inhérent à la structure du programme d’initialisation de la console…qu’aucun dispositif ne peut communiquer avec la console s’il n’a pas intégré les moyens de lui répondre selon le langage crypté qu’elle attend. »
2. Sur la contrefaçon de logiciel
La Cour a considéré que les prévenus s’étaient également rendus coupables de contrefaçon de logiciel :
« …un logiciel est initialement écrit dans un langage de programmation intelligible par l’homme sous forme de code source ; que pour rendre ce programme exécutable, il est ensuite nécessaire de transformer le code source, au terme d’une opération appelée compilation en un code objet exploitable par la machine, mais inintelligible pour toute personne, même pour un homme de l’art ;
Que dès lors la société NINTENDO n’ayant pas fourni le code source de ses logiciels, ni d’autres informations techniques à aucun des fabricants de linkers, ces linkers pour interagir avec la console Nintendo n’ont pu être mis au point qu’en décompilant les logiciels internes de la console et des cartes de jeu afin de comprendre le fonctionnement, c'est-à-dire en transformant leur code objet en code source et sans autorisation de NINTENDO ».
3. Sur la contrefaçon de marque
La Cour a par ailleurs jugé que les prévenus s’étaient rendus coupables de contrefaçon de marque en considérant notamment que :
« … parmi les protections mise en place par la société NINTENDO sur ses produits figure l’utilisation d’un code de démarrage contenant l’image du libellé de la marque Nintendo sous la forme du fichier intitulé NDLF pour Nintendo Logo Data File ;
Qu’à l’issue de la phase d’identification console/carte, la console Nintendo DS, si elle estime être en présence d’un produit authentique de la marque, procède à l’affichage sur l’écran de la console de la marque NINTENDO contenue dans le code de démarrage et ce en superposition avec la piste ovale présente quant à elle sur la console ; le résultat visible par l’utilisateur étant l’affichage de la marque NINTENDO dans un ovale ;
Que les attestations et les expertises versées aux débats par les parties civiles démontrent que le code de démarrage, et donc la marque NINTENDO, nécessaire au fonctionnement des dispositifs litigieux sur la console, est reproduite au sein même de tous les linkers quels qu’ils soient, puisque sans la reproduction de cette marque sur le linker, ils ne pourraient être utilisés dans un console Nintendo ; que sans la reproduction de cette marque sur le linker, la console ne pourrait être trompée par le linke, ledit produit litigieux faisant croire à la console et à leurs utilisateurs qu’il s’agit de produit authentique, puisque l’apparition du logo NINTENDO sur l’écran de la console permet d’authentifier la provenance des produits.
Qu’il y a donc bien contrefaçon par reproduction des marques communautaire et française NINTENDO au sein de tous les dispositifs litigieux. »
La Cour a en conséquence prononcé des peines de 4 mois à 2 ans d’emprisonnement avec sursis et des amendes allant de 1 500 € à 200 000 €.
S’agissant de l’action civile, les prévenus ont été condamnés à payer à NINTENDO des sommes allant de 14 000 € à plus de 4 millions d’euros.