Stephen Harper a été réélu premier ministre du Canada, le 2 mai dernier. Son Parti Conservateur (PC) a obtenu 39,6% des votes des 61,1 % d’électeurs qui ont voté. Grâce au jeu du système parlementaire britannique, Harper a obtenu une majorité de députés à la Chambre des communes malgré que seulement 24,1% des électeurs éligibles ont votés pour le PC. Évidemment, on peut faire le même genre de calcul pour les autres partis politiques mais ils ne sont pas le gouvernement. Contrairement aux chefs de gouvernements majoritaires précédents qui savaient faire la part des choses, Harper agit comme un p’tit dictateur.
Il me semble que dans une telle situation, un gouvernement démocratique majoritaire responsable doit, au minimum, écouter, réfléchir et s’ajuster avant de proposer. Harper, au contraire, relit le programme de son ex-parti de droite de la droite, le Reform Party, l’impose et l’applique à la lettre, sans consultation. Il serait sage qu’il se rappelle que jamais le Reform n’aurait été élu si le Parti Progressiste Conservateur (PPC) n’avait pas accepté de se fusionner avec lui et que c’est grâce aux membres de ce dernier qu’il a pu atteindre le poste important de premier ministre du Canada. Ces membres du PPC, dont j’étais, n’épousaient pas la politique du Reform, mais se situait plutôt au centre-droit. Aujourd’hui, jamais je ne pourrais voter pour le PC actuel car il méprise en grande partie ce que, sous Stanfield, Clark et Mulroney, nous avons proposé pour le pays.
Au lieu d’être un gouvernement majoritaire bon, il est devenu littéralement un bulldozer. Voici quelques exemples :
1. Il a imposé le bâillon sur des projets de loi dont le vote était assuré.
2. Il a forcé certains comités parlementaires à siéger à huis-clos.
3. Il a fait faire une démonstration de la puissance militaire aérienne canadienne au-dessus de la colline parlementaire. Du jamais vu !
4. Il a engagé une firme privée pour nuire politiquement au député libéral de Mont-Royal.
5. Il a démontré un patronage éhonté et coûteux envers les comtés conservateurs lors de l’organisation du G20 au Canada.
6. Il a dû reconnaître, devant l’évidence accumulée, sa culpabilité d’avoir enfreint la loi pour le financement des partis politiques.
7. Il a regroupé, dans une loi omnibus, neuf projets de loi de la justice criminelle sur des sujets aussi variés que le terrorisme, l’exploitation sexuelle infantile et la culture de marijuana. Le vote, suite au bâillon, a été bâclé au point que c’est le sénat non-élu qui doit, aujourd’hui, apporter des amendements jugés maintenant essentiels.
8. Il ajouté de force 30 nouveaux députés sans tenir compte des arguments de la nation québécoise, une des deux fondatrices du pays, qui réclamait que le seuil traditionnel de son poids historique de 25 % des députés à la Chambre des communes soit maintenu. Il est tombé à 23,1 %.
9. Il a modifié le financement des partis en réduisant de 30 millions $ annuellement l’apport du gouvernement à leurs caisses. Le PC a hérité du système de collecte du « Fonds PC du Canada » où j’ai siégé comme vice-président du temps de Joe Clark. Avec le temps, ce système avait amassé une liste imposante de donneurs et était devenu une formidable machine pour ramasser des sous. L’an dernier, le PC a collecté 17 millions $, plus que tous les autres partis combinés. En vue de la prochaine élection, Harper se sert de la loi pour défavoriser ses adversaires politiques qui n’ont pas un tel outil… ni l’appui inconditionnel des pétrolières.
10. Il a retiré la signature du Canada de l’accord de Kyoto sur les changements climatiques, au grand dam de l’ONU, de l’Europe et de l’Asie.
11. Il a fermé le registre des armes à l’épaule et s’apprête à en détruire toutes les données même si elles sont réclamées par le Québec, qui veut maintenant créer son propre registre en remplacement de celui du fédéral, malgré le fait que les Québécois ont payé pour.
12. Il n’a proposé aucun nouveau programme national, sauf celui pour la régulation centrale des valeurs mobilières qui vient tout juste d’être déclaré anticonstitutionnel par la cour Suprême du pays qui l’a jugé de juridiction provinciale.
13. Contrairement à ce qui s’est toujours fait, il a refusé toute discussion à la récente réunion fédérale-provinciale des ministres des finances des provinces où son ministre a tout simplement fait part de la contribution canadienne pour les prochaines années au financement des systèmes de santé gérés par les provinces et est reparti sur-le-champ vers Ottawa. D’ailleurs, Harper n’a pas convoqué de rencontre des premiers ministres des provinces comme à l’habitude.
14. Il s’est révélé monarchiste, sans en avoir soufflé mot durant la période électorale, en imposant brusquement et exagérément le symbole de la couronne britannique et en repoussant l’image d’indépendance du pays que les gouvernements précédents depuis Lester B. Pearson ont créée.
15. Il fait fi de l’opinion de tous les environnementalistes du monde, et l’a démontré encore récemment, en faisant pression sur Barack Obama pour qu’il accepte immédiatement la construction du pipeline Keystone entre l’Alberta et le Texas, sans forcer les compagnies pétrolières à produire un pétrole « propre ». Dans mon billet du 21 août dernier « Le pipeline des sables bitumineux : une occasion pour Obama », je me montrais favorable la construction du pipeline, bon économiquement pour le Canada, à la condition cependant que le président impose des mesures pour assurer que les producteurs produiront un pétrole « propre ». Obama a voulu se donner un an pour étudier cette question importante. En désaccord, Harper pousse Obama d’agir. Les Républicains, financés par les pétrolières, menacent aussi le Président de retarder l’approbation de ses politiques s’il n’approuve pas le pipeline d’ici deux mois. C’est le leader du NDP-Alberta, Brian Mason, qui décrit bien le lien malsain entre les politiciens conservateurs et l’industrie pétrolière : “The Conservative party is far too close to the oil industry — they’re way too cosy … They get an enormous amount of money from the oil industry. There’s just a tremendous integration of the Conservative Party and executives of the oil industry in terms of making policy. That is very inappropriate.”
La semaine dernière, l’ex-PM le libéral Jean Chrétien a mis en garde les Canadiennes et les Canadiens. À son avis, les lois sur l’avortement, le mariage gai et la peine capitale sont dans la mire des conservateurs. Il prétend possible qu’ils veuillent revenir sur les décisions prises par les gouvernements passés, libéraux ou PPC, sur ces sujets qui sont de prime importance pour notre société. En somme, ils voudraient restaurer chez nous les politiques de notre voisin du sud, où des médecins sont tués pour avoir fait un avortement, où des innocents sont déclarés coupables et tués en prison et où les gais sont pourchassés. Même si dans certains cas, comme l’avortement, Harper a nié vouloir agi ainsi, je crois qu’il faut se méfier de lui, si on se base sur les dernières années et le programme du Reform Party.
Avec son attitude intransigeante et ses gestes unilatéraux, Stephen Harper ne semble pas préoccupé par le danger que la légitimité du parlement canadien puisse être diminuée dans l’esprit des Canadiens. Il ne semble pas préoccupé par le fait qu’il s’isole de plus en plus de Québécoises et de Québécois. Il n’hésite pas à alimenter les séparatistes d’arguments de taille. Il ne craint pas de tout bousculer sur son passage, convaincu que de tels gestes n’influencent pas le vote des électeurs. Au contraire, il estime que ces derniers y voient un signe de force puisque le Canada n’est pas englué, comme d’autres pays, dans des débats stériles qui nuisent à l’économie.
C’est la nouvelle démocratie canadienne !
Claude Dupras