Le zèle des responsables politiques français ne connaissant pas de bornes dès qu’il s’agit de donner des leçons de morale au monde entier, il a semblé urgent au citoyen que je suis de faire preuve d’un zèle au moins aussi dynamique en réagissant au comportement parlementaire récent concernant l’interdiction de négation des tous les génocides votée jeudi dernier sur proposition d’une élue UMP des Bouches-du-Rhône.
J’ai donc adressé, le jeudi 22 décembre, jour de présentation du texte à l’Assemblée nationale, aux quatre députés de mon département (les Vosges), et à trois autres députés dont deux présidents de groupes parlementaires (François Hollande, Christian Jacob, Jean-Marc Ayrault), le courriel suivant :
Monsieur le Député,
L'Assemblée nationale doit voter aujourd'hui la loi qui, dans le prolongement de précédentes décisions concernant le génocide arménien, vise à punir le reniement, par tout citoyen, de tous les génocides.
Nul ne peut prendre ombrage d'une telle volonté d'affirmation d'un bel humanisme qui fait honneur à notre pays.
Mais...
Outre son caractère électoral très opportuniste, ce projet me semble très dangereux et comporte un effet boomerang redoutable.
Car...
Il faudra bientôt faire appliquer cette loi en réponse à toute plainte concernant :
- le génocide indien par les Etats-unis d'Amérique au 19ème siècle
- le génocide amérindien par l'Espagne aux 16ème-17ème-18ème siècle
- le génocide vendéen par la France à la fin du 18ème siècle
- le génocide lorrain par la France (décidé par Richelieu et Louis XIII, achevé par Mazarin et Louis XIV), au 17ème siècle.
- et quelques autres aussi délicats et douloureux pour notre vie politique intérieure que pour nos relations diplomatiques avec des pays partenaires (partenariats culturel et économique, entre autres)
Si nous ouvrons la boîte de Pandore, alors...
Croyez bien que je suis triste et inquiet de voir à quel point l'Histoire et ses interprétations deviennent, toutes tendances partisanes confondues, surtout dans la redoutable conjoncture actuelle, un dangereux... outil de stratégie électorale !
Je vous remercie de m'informer de votre position sur ce projet dès que vous en aurez le temps, et vous prie d'agréer, Monsieur le Député, avec mes vœux d'excellentes fêtes de fin d'année et de très bonne année 2012, mes salutations les plus respectueuses et cordiales.
Aujourd’hui, lendemain de Noël, et pleine période de vacances, je n’ai encore reçu aucune réponse.
Evidemment, nous claironne-t-on, cette loi ne s’appliquera qu’aux génocides officiellement reconnus par la France.
Mais, puisqu’il s’agit, paraît-il, exclusivement, d’une question de morale internationale et de Droits de l’Homme, il devient urgent et indispensable que d’autres génocides (ceux par exemple cités dans le courriel) soient rapidement et officiellement reconnus par notre pays. Même au prix (sur le modèle de la relation actuelle avec la Turquie) d’une crise diplomatique majeure avec les Etats-Unis et l’Espagne (voire d’autres pays). Puisqu’il s’agit exclusivement d’une question de Droits de l’Homme, il se trouvera bien une ou un député pour proposer le texte que nos parlementaires ne manqueront pas d’adopter avec enthousiasme, droite, gauche, centre, dessus et dessous confondus !
Et si nul n’ose parler de leur histoire aux Etatsuniens, aux Espagnols et à d’autres, alors peut-être se trouvera-t-il une élue ou un élu de notre République qui aura le courage de parler sereinement à ses compatriotes de leur propre histoire… Les Lorrains et les Vendéens (qui n’en sont pas encore remis !) lui en seraient sans doute reconnaissants (peut-être pas, tout de même, au point de donner toutes leurs voix à sa seule boutique !)
Pourquoi plus la Turquie que n'importe quel autre pays ? Pourrions-nous savoir ?
Le regard de la justice, celui de la morale, ne peuvent pas, ne doivent pas être sélectifs !
Nos anciens disaient : « Avant de vouloir faire le ménage chez les autres, il faut d’abord être propre chez soi ! »
Que dira le Sénat ?
Salut et Fraternité !
Image : couverture de Au Plaisir d'ENA Gilles Laporte éd. DGP Québec 2001 photo Christophe Voegele