Jésus était-il un des premiers indignés ?
Entretien de Jean-Paul Duchâteau avec le Père Charles Delhez, éditorialiste au journal Dimanche
Comment expliquez-vous que Jésus ne soit pas apparu dans les documents écrits de l’époque où il vécu ?
Tout commencement est toujours invisible à l’œil nu. Il y a en Jésus un commencement nouveau. Un philosophe italien dirait que Jésus était la plus grande révolution opérée au cœur de l’humanité parce qu’elle a atteint le cœur de l’âme. Jésus est un petit phénomène local mais tellement vrai dans la manière dont il a vécu. Quelqu’un me disait "Dieu est venu à Noël incognito". Ce qui va faire la force du message, c’est peut-être finalement ceux qui vont le prendre au sérieux. Et là, il faudra quelques générations.
Jésus a-t-il été un des premiers indignés ?
Premier, je ne dirais pas, car il est dans la grande ligne des prophètes de l’Ancien Testament qui se sont perpétuellement indignés contre les idoles. Jésus a en effet été disciple de Jean-Baptiste, un véritable indigné mais qui prend le maquis tandis que Jésus va être un indigné enthousiaste. Il va continuer à vivre au cœur des humains. Dans l’évangile de saint Jean, celui-ci précise que le premier signe de Jésus, ce sont les noces de Cana, une fête, et le deuxième sera son indignation contre les marchands du temple. Ce qui indigne Jésus, c’est que le temple est devenu un marché; aujourd’hui, on pourrait dire "est-ce que le marché n’est pas devenu un temple ?"
Avez-vous le sentiment que l’Eglise a suivi son enseignement révolutionnaire ?
Oui et non. Tout au long des 2000 ans de l’histoire du christianisme, il y a eu quantité d’indignés, certains plus célèbres comme saint François d’Assise. Mais il y a beaucoup de gens qui se sont indignés là où ils étaient et cela n’est jamais apparu dans le journal ! Mais il s’est passé dans l’Eglise ce qui a eu lieu dans le groupe des disciples de Jésus. Celui-ci est un indigné qui va y mettre le prix de sa vie. Avec sa petite communauté d’apôtres et de disciples, il va essayer de vivre autrement. Bourse commune, proximité des lépreux, etc. mais au sein de son groupe, Jésus va devoir s’indigner parce qu’il y a déjà des luttes pour le pouvoir ! L’histoire de l’Eglise, c’est cela. C’est un message extraordinaire que l’Eglise est invitée à vivre. Elle y réussit de temps en temps, mais comme institution humaine, elle mérite aussi l’indignation à certains moments. Le message de Jésus est parfois au-dessus des forces humaines. Quand on voit, par exemple, les difficultés dans la société belge à pardonner à des gens comme Michèle Martin, pour prendre un cas extrême, je me dis que ce message de pardon dépassera toujours les forces humaines. De temps en temps, on y arrive. Mais parfois pas.
Les chrétiens d’aujourd’hui ne se sont-ils pas assoupis dans leur faculté d’indignation ?
J’en suis persuadé. Je crois que l’originalité de Jésus, ce n’est pas un discours mais une manière de vivre autrement. On a gardé le discours, mais les chrétiens sont aujourd’hui trop souvent complices de cette société contre laquelle on s’indigne. Et moi le premier. Il faut retrouver une certaine radicalité de l’évangile. Or, on s’est contenté de beaux discours, de beaux rites, de belles hiérarchies, de belles églises, mais l’essentiel n’est pas là.
[Sur le site de La Libre Belgique ]