N’attache pas non plus trop de soin au souffle, à une sorte de respiration assistée selon des règles apprises, si bienfaisantes soient-elles : ce serait encore te tromper gravement sur la prière comme sur la nature profonde du souffle qui t’habite. Que ton âme s’apaise en se rassemblant, et sa paix gagnera immédiatement tous tes membres, imprimant de l’intérieur un rythme plus lent à ton souffle, plus égal et plus large, que tu n’as pas cherché, qui s’est accordé de lui-même dès que le contact se rétablit avec le cœur profond. Il s’agit bien de retrouver le souffle, mais originel, primitif, qui n’est pas seulement ta respiration, mais ce qui te porte, te soutient, le vaste et profond courant qui te traverse.
Tu l’as bien compris, la prière intérieure est le monde de la foi pure, de l’amour pur, de l’espérance pure. Aucun semblant, aucun dérivatif ne nous sépare plus de celui que nous aimons, que nous espérons, que nous savons là. Le dépouillement devient tel que le cœur semble seul ou qu’il a tout envahi. La foi aiguisée à ce degré de pureté devient contact, au-delà des considérations, qui toujours reviennent mais se dissolvent aussitôt sous la poussée légère d’un seul mouvement de l’être, le plus entier et le plus intime qui soit, comme un élan immobile, un vertige retenu, une attente comblée, un bonheur jailli de l’oubli de soi.
Il ne se passe rien, pourtant, le temps passe on ne sait comment. Comme si le fait d’être là, d’être tout court, nécessitait toute notre attention, toute notre énergie. On ne réfléchit pas, on trempe ses facultés dans une lumière qui les imprègne en les unifiant, en les affinant. Rien de sensible néanmoins, une sorte de travail en sous-main, d’autant plus efficace qu’on s’en absente.
Une force étrange opère alors, faite de puissance et de douceur à la fois, de paix et d’arrachement. Nous descendons mais en même temps nous avançons. Nous descendons mais nous ne sommes pas noyés, submergés. Plutôt portés, comme une marche sur les eaux, avec néanmoins le sentiment persistant de la profondeur, mais vaste, spacieuse, habitable. On y respire. Il n’est plus aucun poids qui nous fasse couler. C’est la mer qui se fend à nouveau, l’abîme qui se dénoue et forme une haute muraille palpitante de part et d’autre, et tu passes à pied sec, tu avances immobile, en confiance, vers l’autre rive, celle de la liberté, celle de la présence qui te rachète de la multitude des riens dont tu vivais et qui maintenant flottent à la surface des eaux refermées.
Philippe Mac Leod est écrivain et a publié plusieurs recueils de poésie. Son dernier ouvrage, Sens et Beauté, est paru aux éditions Ad Solem.