Un article du Cercle Raymond Poincaré de Sciences Po Rennes (Ludovic).
Effet boomerangAu lieu de cela, j’évoquerai plutôt un argument rarement mentionné dans les médias et qui pourtant me semble absolument central : le bouclier fiscal ne protège pas tant ses bénéficiaires directs que la foule des contribuables qui n’y sont pas éligibles. En effet, l’impossibilité de lever de nouvelles taxes sur les ménages les plus riches rend toute augmentation des impôts politiquement suicidaire, car inacceptable pour le reste des foyers qui la percevrait comme injuste. Le motif de sa suppression n’est d’ailleurs pas à chercher plus loin, les « plans d’économies » en forme de hausses d’impôt n’ayant pas tardé. Il est regrettable que l’on ne lui ait donné une valeur constitutionnelle avant la crise : cela aurait peut-être évité qu’une avalanche de nouvelles taxes ne s’abattît sur les classes moyennes, en forçant les politiciens à maîtriser la dépense publique. En définitive, c’est l’ensemble des contribuables qui aurait indirectement bénéficié de la protection du bouclier, forme de holà mis aux velléités taxatoires des professionnels de la politique.Cela dit, l’argumentaire en faveur de l’instauration d’un bouclier fiscal ne doit pas faire oublier qu’il ne s’agit que d’une rustine au sommet d’un système d’imposition illisible, le paravent d’un régime fiscal injuste et perçu comme tel, qui tout à la fois écrase les productifs mais ne parvient pas à couvrir l’étendue des dépenses de l’appareil étatique. Le bouclier fiscal est donc à considérer comme la béquille d’un système bancal, un garde-fou provisoire en attendant une réforme en profondeur, un mieux-que-rien. En outre, l’instauration d’un « véritable » bouclier fiscal, incluant les cotisations sociales et les impôts indirects (T.V.A., T.I.P.P., etc.), aurait eu une portée autrement plus large, avec en prime, peut-être, une prise de conscience généralisée de l’extraordinaire joug fiscal que subit la majorité des travailleurs français. Enfin ! Le bouclier est mort et enterré, et les mains du législateur sont désormais libres de surtout ne pas diminuer les dépenses publiques, et faire payer ceux qui le peuvent. If it moves, tax it. If it keeps moving, regulate it. And if it stops moving, subsidize it. - Ronald W. ReaganJe suis convaincu du caractère fondamentalement injuste de l’impôt excessif,, et les raisons qui me poussent à défendre la frugalité des dépenses publiques sont essentiellement déontologiques : la liberté de disposer librement des fruits de son travail est, comme toute liberté, désirable pour elle-même. On aurait tort, néanmoins, de négliger les effets stimulants pour l’activité de faibles impôts.On admet communément que la taxation de la cigarette tend à en faire baisser la consommation. On admet également que l’imposition de certaines pratiques économiques aura pour effet d’en augmenter la rareté – les bonus aux traders, la location d’appartement à faible surface, pour prendre des exemples dans l’actualité récente. Pourquoi n’admet-on pas alors que taxer la richesse créée en général tend à la faire diminuer à terme ?C’est la notion d’incitant, incontournable en économie, qui est négligée par les partisans des impôts élevés. De la même manière qu’un impôt sur un stock détruit nécessairement la base sur laquelle il porte, l’imposition des flux détruit le comportement à l’origine de ceux-ci – nous retrouvons ce bon vieux Laffer. A ce titre, il est amusant de constater l’inconséquence de certains économistes keynésiens, qui plaident d’un côté pour la baisse des taux d’intérêts dans le but d’augmenter artificiellement la rentabilité attendue de l’investissement, puis d’un autre pour la taxation des revenus du capital – ce qui, vous me suivez, a pour effet de diminuer artificiellement la rentabilité attendue de l’investissement. Au cas général, lorsqu’il y a déconnexion entre la productivité et la quantité du travail fourni d’une part, et les revenus qui en sont attendus d’autre part, les incitations à produire et à entreprendre disparaissent.Lors d’un récent voyage à Lyon, j’ai fait la connaissance d’Hakim, jeune chauffeur routier de vingt-trois ans à la tête d’une EURL basée à Vienne, en Isère. Son activité est taxée globalement à hauteur de 53%. Révolté contre le « système », les politiciens « pourris », les « assistés », il m’expliquait qu’il lui était impossible de développer son activité. Pour embaucher, il doit investir, acheter un autre camion. Or, le supplément de revenu attendu d’une telle opération était si faible qu’il y a renoncé, d’autant plus facilement d’ailleurs que les risques juridiques liés à l’embauche d’un employé lui faisait craindre de devoir déposer le bilan en cas de litige avec son salarié. Certes, cet exemple tiré de mon expérience personnelle n’a qu’une faible valeur argumentative. Néanmoins, il illustre bien le caractère anti-économique de la taxation excessive, ainsi que la sape morale des créateurs de richesse et le climat de défiance qui en découlent. C’est la société dans sa globalité qui en pâtit, puisqu’elle doit alors se passer des talents d’entrepreneurs découragés.—Sur le web