Ce n'est pas au café Pouchkine, mais dans un bistrot aux murs fatigués que se rencontrent Sonia et André.
Ils affichent plus de 50 ans mais ils ont gardé une fraicheur adolescente, autant par élégance que par utopie. Ils vont s'inventer une autre vie, des mensonges, une petite fiction comme ils se plairont à le reconnaitre ultérieurement, autant pour paraitre plus beaux aux yeux de l'autre que pour préserver une image correcte d'eux-mêmes.
On pourrait donc mentir par respect, et en quelque sorte, avec sincérité. Leurs rêves les rapprochent. Ils se ressemblent tant... Ils vont s'apprivoiser.
Sonia semble minimiser son talent de gestionnaire de la propriété : j'étais pas un génie mais j'étais très compétente dira-t-elle sur un ton de fausse modestie. André se prétend violoniste émérite. Petit à petit, alors que les confidences éveillent réciproquement leur intérêt l'un pour l'autre chacun va retoucher le portrait qu'il a brossé.
Elle confie que le domaine a périclité. André avoue avec pudeur : je suis une sorte de raté. Son existence cahote avec des ratés comme un moteur qui tousse avant de repartir. Sonia se raccroche à l'illusion qu'elle parvient tout de même à contrôler la situation. Elle affirme son courage, et même sa force d'âme. Si l'on ne savait pas que le texte est de Brian Friel, un auteur irlandais, on jurerait que c'est du Tchekhov.
L'admiration se lit bientôt dans le regard qu'André pose sur elle : quelle femme audacieuse vous êtes !
Il était fade lorsqu'il racontait ses exploits. Le voici qui s'anime alors qu'il avoue ses faiblesses. Elle faisait preuve de bravade en évoquant ses projets agricoles. La voilà qui s'éclaire en corrigeant ses affirmations. Le jeu de Marie Vincent n'est que finesse, alternant avec vivacité l'enthousiasme, la langueur et les larmes. Roland Marchisio lui aussi joue sur un registre très large.
Quelques verres de vodka plus tard les deux rêveurs pourront alors doucement commencer à laisser tomber le masque, en commençant par cesser de se mentir à eux-mêmes, pour se hasarder à se découvrir avec émotion, esquisser un pas de deux et entrevoir une autre vie, qui elle pourra se concrétiser.
La pièce s'achève sur une fin ouverte et optimiste. Ils se quittent pour mieux se retrouver. A peine est-elle partie qu'il a déjà entamé une correspondance. Et nous nous surprenons à nous demander s'ils ne seraient pas un modèle à suivre.
Une Autre Vie de Brian Friel, Mise en scène Benoît Lavigne
Texte français Alain Delahaye, Décor Laurence Bruley, Costumes Agathe Laemmel
Avec Marie Vincent et Roland Marchisio
Du 13 octobre au 31 décembre 2011, du mardi au dimanche à 19h (sauf les 25 et 27 décembre)
Théâtre La Bruyère, 5, rue La Bruyère, 75009 PARIS
Location : 01 48 74 76 99