La "ludification", c'est-à-dire l'adoption de mécanismes de jeu (scores, badges, classements...) pour développer et faciliter l'utilisation de logiciels "sérieux", a le vent en poupe, ces derniers temps. Mais, finalement, le plus important ne serait-il pas de rendre les applications agréables à manipuler ? Là est le propos de Craig Roth, analyste chez Gartner et ancien développeur de jeux, dans un article qui renverse un peu le concept tel qu'on l'aborde habituellement.
Parmi les critères de succès d'un jeu vidéo, l'un des principaux est la qualité de son interface utilisateur (IHM), qui va se traduire par sa clarté, sa réactivité, son intuitivité, son attractivité, son ergonomie... Pour les éditeurs et les concepteurs, ces caractéristiques sont essentielles puisqu'elles participeront (en partie au moins) à la décision des consommateurs de payer pour pouvoir utiliser leurs jeux.
Or les développeurs d'applications d'entreprise (équipes internes, surtout, mais aussi éditeurs spécialisés) sont bien loin de ces considérations et sont beaucoup plus préoccupés par l'intégration de nouvelles fonctionnalités que par le soin apporté aux interfaces. Cela semble naturel puisque les utilisateurs finaux seront, de toutes manières, obligés de s'adapter au fonctionnement qui leur est imposé et que le fournisseur sera évalué principalement sur le nombre de fonctions présentes dans le produit final.
Mais cette vision peut s'avérer contre-productive et pas seulement par les coûts de formation ou la perte de productivité induite par des applications peu ergonomiques. Craig prend ainsi l'exemple d'une plate-forme de gestion des connaissances : lorsque la saisie d'informations optionnelles est portée par une IHM de mauvaise qualité, les collaborateurs seront moins enclins à l'affronter et s'en tiendront à un usage minimaliste. L'objectif même de la solution est alors en péril, puisque la richesse des informations recueillies sera moindre.
Prendre soin de l'interface utilisateur peut donc être plus important qu'on ne le pense généralement et, avant d'introduire des mécanismes ludiques, les modèles d'IHM des jeux vidéo peuvent déjà constituer une source d'inspiration utile (sans cependant tomber dans l'excès).
Et le raisonnement peut encore être prolongé lorsqu'on y intègre la tendance à la "consumérisation" de l'informatique. Les consommateurs sont exposés quotidiennement à une multitude de logiciels et de services, sur le web ou sur leur smartphone, à la facilité d'utilisation déconcertante, attractifs et obligatoirement intuitifs (qui lit encore un guide d'utilisation ?). Progressivement, ces exemples constituent une référence universelle pour toutes les applications, à usage personnel ou professionnel. Si l'entreprise n'est pas en mesure de s'y conformer, cela constituera un motif supplémentaire pour le collaborateur de rejeter ce qui lui est imposé... ou de choisir une autre solution, externe...