La situation de la France ne cessant de se dégrader, avez-vous toujours envie d’en devenir le président ?
C’est une raison supplémentaire de vouloir servir mon pays. Jamais une élection présidentielle ne s’est présentée dans un contexte aussi dégradé sur le plan économique et financier. Jamais la gauche n’a été aussi près du pouvoir, ni aussi consciente, si les Français lui font confiance, d’avoir à conduire une tâche de redressement aussi exigeante. Je m’y étais préparé depuis de longs mois, et j’ai toujours su que la crise allait durer faute d'être maîtrisée par l'équipe sortante. C'est hélas le cas.
Depuis votre victoire à la primaire, on vous reproche votre manque d'autorité.
Ce sont les mêmes qui pensaient aussi que je ne serais pas candidat aux primaires, puis que je ne serais pas désigné. Je les laisse dire. J’ai déjà démontré ma fermeté en tenant bon sur la responsabilité budgétaire, sur la politique énergétique, sur les retraites, sur ma conception des institutions. Les Français sortent de cinq ans de présidence autoritaire. Ils ont été choqués par son absence de résultat et par la brutalité de la méthode. Ils veulent un Président qui décide, qui ait la hauteur de vue nécessaire, la clarté dans les convictions, mais qui concerte, dialogue, respecte, entend. C’est ce que je représente.
Mais vous ne semblez jamais décidé à trancher dans le vif...
Si c’est pour sauter sur la table pour finalement la casser, je laisse ça à d’autres ! Cette façon de procéder ne me paraît pas particulièrement appréciée en Europe. Pour obtenir un résultat, je préfère mettre de la souplesse dans le comportement, de l'intelligence dans les situations et du sens dans le compromis.
Comment jugez-vous votre entrée en campagne ?
Si je regarde les sondages, je ne devrais avoir aucun regret ! Aucun ne m’a mis à moins de 55 % au second tour, et je suis toujours en tête au premier. Convenez qu'il y a pire comme point de départ mais l'arrivée est encore loin (4mois). J'entends maîtriser les temps et les rythmes. Cette période de l'après primaires, je l’avais anticipée. J’ai assez d’expérience politique pour savoir qu’une campagne présidentielle ne commence pas au mois de novembre. Ça ne s’est jamais fait. J'avais à préparer le projet présidentiel, à constituer mon équipe et à rassembler les socialistes, tout en laissant le PS désigner ses candidats aux législatives et régler son accord avec EELV. Je tire ma légitimité de la primaire. Je suis socialiste. Mais j'assume la liberté que me donne cette désignation. Je suis face à mes concitoyens. Je veux les convaincre du redressement nécessaire. Dans la Justice. Et avec une grande priorité : la réussite de la jeunesse.
Sentez-vous que le parti socialiste est tout entier derrière vous ?
Oui, car l'enjeu est trop grand pour le pays et pour la gauche. Chacun est conscient du besoin d'alternance. Voilà 17 ans que François MITTERRAND a quitté l'Elysée. Nous sortons de 10 ans d'opposition et les années Sarkozy comptent doublent ! Nous n'avons pas le droit de perdre la prochaine élection présidentielle et nous avons tiré toutes les leçons des précédents scrutins. L'unité est la condition première. Je ne pardonnerai rien.
Mais l’accord passé avec les Verts n’est-il pas été trop généreux, d’autant que leur candidat stagne au plus bas des intentions de vote ?
Un seul parti ne doit pas diriger le pays. Je m'appuierai sur une majorité rassemblant la gauche et les écologistes. Nous sortons de l'Etat UMP. Ce n'est pas pour le remplacer par un Etat PS. L'accord PS/Verts était un premier acte et il y en aura d’autres. Certains candidats dès lors, peuvent nous rejoindre. Jean-Pierre Chevènement sera plus utile avec nous que dans la poursuite de sa propre démarche. Je suis pour cet élargissement.
Jusqu’à François Bayrou ?
François Bayrou restera dans l'ambiguïté le plus longtemps possible en entretenant toutes les combinaisons possibles pour tomber je ne sais de quel côté. C’est son choix. Pas le mien. Je considère que le premier tour est décisif. Je connais les ravages de la dispersion. Ce serait une faute que d’aborder les questions de l’entre deux tours alors que nous sommes à quatre mois du 22 avril !
François Bayrou pourrait-il être votre premier ministre ?
Quelle idée !! Laissons le à sa place, celle d'un candidat du centre. Le premier ministre procèdera du groupe le plus important de la majorité. Si les législatives confirment mon élection à la présidence de la République, le premier ministre sera socialiste. C'est la logique de la Vème République et le respect dû aux électeurs.
Vous êtes sévère avec le président Sarkozy, que pensez-vous du candidat Sarkozy qui perce déjà ?
Son tempérament, est plus propice à l'expression d'une parole décomplexée qu’à l'affirmation d'une ligne cohérente. Mais le ressort est cassé. Le discours de Toulon m’a frappé. Il y avait tout le cérémonial, le protocole était parfait, la mise en scène digne des liturgies de la grande époque, mais la magie n’opérait plus. Les mots étaient soignés, mais n’imprimait pas l’élan qui doit être celui d’une campagne présidentielle. En 2007, son slogan était « Avec moi tout devient possible », à Toulon c’était « Avec moi rien ne sera plus possible ».
Vous le sous-estimez !
Non mais le candidat qu'il est déjà ne peut faire oublier le bilan du président qu'il est encore. Je ne me situe pas sur le registre de l'affrontement personnel .Je souhaite que l’élection présidentielle soit digne, qu’elle soit un moment où les Français puissent faire le choix sans être submergés par un flot de polémiques secondaires, de joutes grotesques, de vulgarités verbales sans parler des affaires. Dévaluer, dénigrer, c’est à la portée du premier venu. Je laisse les médiocres se hisser au niveau de leur caniveau. Chacun devra faire preuve de responsabilité, car l’un d’entre nous sera le prochain président de la république.
Est-ce qu’une telle atmosphère pourrait nourrir les extrêmes ?
L’extrême-droite se situe dans les sondages à un niveau que nous n’avons jamais connu, y compris en 2002. C’est-à-dire plus haut que celui de Jean-Marie Le Pen le 21 avril, 2002. Tous les ingrédients d’un vote de colère sont là. Je pense à la peur, aux injustices, à la crise de l’Euro. Ma responsabililité est d’aller chercher ces électeurs et de traduire leur désarroi dans une démarche d'espoir.
Voulez-vous leur répondre sur le terrain de l’immigration, de la sécurité ?
La sécurité est une exigence républicaine. J'y répondrai. Mais les catégories populaires souffrent. Elles doutent de la politique. Et elles sont en défiance. Je veux leur parler de notre destin commun, de la fierté nationale, de la capacité du politique à changer la marche du pays. Je ferai donc campagne sur la production, le travail, la reconnaissance, la considération, la place de chacun, la laïcité. Mais je ne commettrai pas la double erreur d’aller sur le terrain de la surenchère pour en rajouter, ou d'occulter les réalités qui font mal (les trafics, les violences, la descolarisation. C’est dans les quartiers les plus délaissés que j’irai. C’est une autre impasse du sarkozysme : que sont devenus les cités où il avait prononcé ces phrases restées dans toutes les mémoires ? L’échec du candidat sortant n’est pas seulement économique et social. Il est finalement au cœur même de ce qui avait été son identité : la cohésion nationale.
Maintenez-vous l’idée du projet socialiste de recruter 10 000 policiers et gendarmes ?
J'arrêterai l’hémorragie des effectifs. Mais, compte-tenu des contraintes budgétaires, je suis pour le redéploiement. Je proposerai de stabiliser globalement les effectifs de la fonction publique. Les postes créés seront forcément compensés ailleurs.
Y-a-t-il un thème de campagne, en dehors de l’économie, qui vous tient à cœur ?
J’accorde une grande importance à la moralisation de la vie politique : statut pénal du chef de l’Etat, indépendance de la Justice, nominations à la tête des chaînes de télévision, introduction d’une part de proportionnelle aux législatives, parité, non cumul des mandats...Je veux une République exemplaire.
Mettrez-vous à l’écart les membres des autorités dont vous modifierez le statut ?
Les membres du Conseil constitutionnel iront jusqu’au bout de leur mandat, mais les anciens présidents de la République n’en seront plus membres de droit. Quant à la composition du CSA et des autorités indépendantes, elle sera revue, et le Parlement sera associé davantage qu'aujourd'hui aux nominations.
Avez-vous en tête un grand projet pour la culture ?
Etre président de la République française, c'est être le chef d’Etat d'une grande Nation de culture. Cette dimension peut se retrouver dans de grands travaux. Pompidou, avec Beaubourg, Giscard avec le Musée d'Orsay, Mitterrand avec le Louvre et la Grande Bibliothèque, et Chirac avec le musée des Arts Premiers. Chaque mandat a correspondu à une grande intitiative. Je veux pour ma part, porter un grand projet d'Education artistique. Il y a tant de talents en France, dans tous les quartiers, dans tous les territoires. Les enseignements artistiques méritent une plus large place dans les programmes. Nous disposons de conservatoires d’excellente qualité, Nous devons en faciliter l'accès. Et de nouveaux lieux décentralisés correspondront à cette ambition.
Quelles nouveautés préparez-vous en matière fiscale ?
La réforme fiscale est devenue une nécessité financière, sociale et morale. Nos prélèvements sont devenus anti-redistributifs et anti-économiques. Ils pénalisent l'emploi et protègent les plus fortunés. Ils avantagent les grandes entreprises par rapport aux PME et n'incitent guère à des comportements écologiquement responsables.
Je propose donc la même imposition pour les revenus du travail comme ceux du capital, le rapprochement de la CSG avec l'impôt sur le revenu, la suppression d' une bonne part des niches fiscales, la modulation de l'impôt sur les sociétés selon que le bénéfice soit distribué au travail : un allégement des cotisations sur le travail par la levée d'une contribution carbone. .
Et l’ISF ?
Il a été inopportunément allégé en même temps qu'a été procédé à la fin du bouclier fiscal ! Là encore le symbole d'une « présidence des riches » a été fâcheux. D'ailleurs il fâche les Français. Je proposerai de rehausser le taux de l'ISF et j'établirai une cohérence entre tous les impôts sur le patrimoine.
Augmenterez-vous la TVA ?
Non ce serait préjudiciable aux consommateurs et donc à la croissance. La TVA dite abusivement « sociale » entraînerait une ponction immédiate sur le pouvoir d'achat des ménages. En revanche je réaménagerai les produits qui relèvent de chacun des trois taux.
Combien coûtera votre réforme des retraites ?
Ceux qui ont commencé à travailler à 18 ou 19 ans doivent pouvoir partir à 60 ans s’ils ont leurs annuités, c'est à dire 41 années, bientôt 41, 5. Cela coûtera 1 milliard d’euros la première année, 5 milliards en 2017. Tout le reste fera l’objet d’une négociation notamment la pénibilité, les décotes, les finances. A moyen terme, chacun a compris que ce sera la durée de cotisation qui deviendra la clef de voûte des régimes de répartition, d'où l'enjeu de la pénibilité des métiers.
Maintenez-vous votre objectif de réduction des déficits publics ?
Oui. C'est la condition pour retrouver notre souveraineté par rapport aux marchés et pour ne pas transmettre à nos enfants une dette insupportable. Fin 2013 le déficit devra être ramené autour de 3% du PIB. 2017 sera l’année du retour à l’équilibre.
Pourquoi ne souhaitez-vous pas constitutionnaliser la règle d’or ?
Je ne vois pas comment il serait possible d’inscrire dans notre constituion un calendrier, avec des dates et des niveaux de déficit. Une constitution n’est pas liée à une période conjoncturelle. Elle est un cadre permanent. Ce que je propose donc, c’est de faire voter par le Parlement, dès le lendemain du renouvellement de 2012 une loi organique, supérieure à la loi ordinaire, et qui fixera la programmation de nos finances publiques jusqu'en 2017.
Cette trajectoire nous engagera auprès de nos partenaires européens.
La perte de la note triple A serait-elle catastrophique ?
Ce serait un triple échec, parce que ce serait le constat d'une dérive de nos comptes publiques, d'un effondrement de la croissance et d'une détérioration de notre compétitivité. Mais cette dégradation aurait une conséquence douloureuse pour les Français. Nous aurions à payer plus cher les émissions d’emprunt que l’Etat lancerait dès l’année prochaine. Ce qui signifierait une charge d’intérêt plus élevée dans le budget et donc un effort plus important demandé aux contribuables. Ce serait la triple peine : nous aurions à la fois des taux d’intérêt plus élevés, une dégradation du déficit public, et un nouveau plan de rigueur. Et s’il n’intervenait pas rapidement pour des raisons de commodité électorale, cela signifierait que le prochain président devrait s'en charger ! Bel héritage !
Vous reprochez au traité européen en préparation de ne pas stimuler la croissance. Quelles sont vos solutions ?
Je suis favorable à des eurobonds qui mutualisent la dette. D'ici là, La banque européenne d’investissement, à ne pas confondre avec la BCE, peut aussi emprunter et surtout prêter pour des grands travaux d’infrastructure en Europe, pour investir dans les énergies renouvelables, dans des programmes de recherche commun, dans le financement de projets industriels. Enfin, il y a ce qui relève de la banque centrale européenne. Elle peut agir pour que les taux d’intérêt soient les plus bas possibles et l'euro soit à son juste niveau. Nous n'avons aucun avantage à un euro surévalué.
Songez-vous à un grand emprunt national ?
Cette solution aurait l’avantage de rendre une partie de notre dette à l'abri des pressions des marchés et donc de préserver notre indépendance. Mais l'émission de cette emprunt ne doit pas pénaliser le financement des entreprises, qui est une priorité, et son coût, donc son taux d’intérêt devrait être le plus bas possible, ce qui suppose de lui accorder une sécurité fiscale.
L’accord négocié il y a dix jours entre les pays de la zone euro vous paraît-il suffisant ?
Non. Trois volets manquent. Le premier, c’est celui de la riposte face aux marchés. Je propose que le fonds de stabilité financière, qui deviendra le fonds monétaire européen, ne soit pas doté de 500 milliards d’euros mais du double. C’est la masse indispensable. Songez qu’il y aura 800 milliards d’euros d’émissions d’emprunts l’an prochain par les principaux états de la zone euro. Il est possible de faciliter l’intervention de la banque centrale européenne sur le marché des dettes dans le respect de son statut actuel. Pour l'instant, elle prête de façon illimitée à 1% aux banques qui vont prendre leur rente au passage sur le financement des dettes publiques ! Enfin, je suis favorable à des eurobonds. La seule manière pour éviter que des Etats soient violemment contestés par les marchés, et acquittent des taux d'intérêt très élevés comme l’Italie ou l’Espagne, c’est d’avoir cette mutualisation.
Dexième volet...
C’est celui de la démocratie. J'admets parfaitement un contrôle des politiques budgétaires, dès lors que nous sommes dans une union monétaire. C’est la conséquence. Je comprends la logique de vigilance à l’égard des Etats qui manquent à leur parole. Mais de quelles sanctions s’agit-il ? Verser des amendes par des Etats qui sont déjà les plus fragiles, où allons-nous ? Ensuite, si le contrôle n'est pas le fait d' une instance démocratique, il y aura forcément une contestation des peuples. Or, quel sera cet organe ? Nul ne le sait. Est-ce la commission européenne ? Jusqu’à présent, Nicolas Sarkozy a paru s’en méfier. Est-ce le conseil européen ? Mais alors que deviennent les institutions communautaires, en particulier le parlement ?Je propose donc une instance où figureraient des représentants de la Commission, du Parlement européen et des Parlements nationaux, en liaison avec le Conseil européen.
Quelles peuvent être les sanctions à l’encontre d’un état défaillant ?
La correction par un impôt, comme la TVA qui est pour une part communautaire. Enfin, dernier volet, celui de la croissance. Si nous entrons en récession, aucun des pays sauf peut-être l’Allemagne n’atteindra les objectifs affichés de réduction des déficits. Nous avons un cas d’école, c’est la Grèce. Les plans qui se sont additionnés ne lui ont pas permis de redresser ses comptes. Récession et austérité s'entretiennent. C'est ce cycle infernal qu'il faut briser.
Comment pensez-vous obtenir d’Angela Merkel ce que Nicolas Sarkozy n’a pu lui arracher ?
Ce que la Chancelière a voulu, elle l’a obtenu : La renonciation aux eurobonds, l'amputation des créances des banques, le silence sur le rôle de la BCE, la règle d'or renforcée ! Ce n'est pas l'énergie qui a fait défaut à Nicolas Sarkozy, c'est la faiblesse de sa politique, les déficits et le non respect de ses engagement européens. Mais dans quatre mois, les Français auront un nouveau président qui aura une légitimité forte. Mme Merkel sera en situation pré-électorale. La crise sera toujours là. Ce sera le moment d'améliorer, de compléter le dispositif européen et d'engager l'Union sur une voie plus ambitieuse. L'élection française sera aussi une élection européenne. Telle est ma démarche. Elle fait du vote des citoyens en mai prochain un levier.
Interwiew au magazine Le Point