Cette période de l'année a tellement changé depuis mon enfance qu'il est maintenant impossible de reconnaître en ces Noël contemporains ce qu'étaient les Noël de ma jeunesse.
Je ne suis pourtant pas un nostalgique du Noël traditionnel de mon enfance. Certes, j'ai d'excellents souvenirs des réveillons de famille gigantesques que mes parents organisaient en y invitant toute la famille élargie, autant du côté paternel que maternel. Avec plusieurs dizaines de personnes assemblés dans une maison à peine assez grande pour tous les recevoir assis, il y avait de l'ambiance. Je ne suis pas un vrai nostalgique, car au fond, je sais très bien que ces souvenirs appartiennent non seulement au passé, mais aussi qu'ils appartiennent à une autre époque. Je comprends parfaitement que nous ne pouvons plus faire exactement la même chose - même si nous tentions de recréer entièrement un réveillon identique.
Et je ne parle pas d'évolution de la société ici, mais de simple évolution et vieillissement naturel de ma propre famille; nous ne pourrions pas recréer la même ambiance ou les mêmes festivités que dans mon enfance, puisque nous ne sommes plus les mêmes.
Dans mes Noël d'enfance, ces festivités représentaient un moment spécial de l'année, des congés, des regroupements familiaux comme on en voyait rarement - voire jamais - en cours d'année, et bien sûr, les traditionnels cadeaux de Noël. Il y avait aussi les visites, les dîners, les soupers et les soirées chez les grands-parents et les oncles et tantes. Mais ce qui faisait de Noël un temps aussi spécial à mes yeux d'enfant, c'était l'attente, le désir de vivre cette période annuelle, le plaisir anticipé de l'ouverture des deux ou trois cadeaux reçus (de mes parents, mes grands-parents et mon parrain et ma marraine). Or cette excitation si spéciale rattachée à Noël, elle est virtuellement impossible à retrouver aujourd'hui.
Dans notre univers contemporain, les réunions familiales ne sont pas réservées au seul traditionnel temps des fêtes, les cadeaux non plus, les congés et les occasions de festoyer sont plus fréquentes que dans mon enfance. En partie parce que la société à changé, en partie parce nous avons changé, mais aussi (personnellement) parce que je ne suis plus un enfant.
Mais en fait, l'excitation venait essentiellement de l'attente, via des petits détails comme les chandelles de l'Avent à l'église, que l'on comptait de semaine en semaine. On notera également que cette période pré-Noël où l'on construisait cette attente qui constituait la moitié du plaisir des fêtes tellement on avait hâte, elle fonctionnait parce qu'elle était relativement courte; règle général quatre semaines. Chez nous, ma mère ne sortait jamais les disques de Noël avant le premier décembre. Idem pour les décorations. Il y avait également une sorte de rituel associé à ces gestes simples; les vieux vinyles dont on avait presque oublié la pochette - il devait y en avoir seulement 5 ou 6 chez nous, et issus d'artistes connus mais souvent de voix ou chorales inconnues, des artistes que l'on écoutait rarement à d'autres moment de l'année.
C'est certainement là ce qui distingue le plus les Noël du 21e siècle de ceux de mon enfance. Le désir.
Aujourd'hui, je suis incapable de développer cette excitation due à l'attente d'un moment spécial, puisque rendu à la première semaine de décembre, je commence à être fatigué d'entendre la même musique partout dans mes déplacements et d'assister à la course aux cadeaux depuis plus de 5 semaines déjà. Je suis fatigué de voir le Père-Noël, apparu dès le 5 novembre. Je suis épuisé par tous les excès que nous a apportés la prise de contrôle commercial des festivités de Noël.
Je ne suis pas rétrograde ni réactionnaire; tant mieux si les gens sont heureux à Noël grâce à tout ça (même si j'en doute). Je suis juste incapable de me sentir excité avec huit semaines de ce régime. À la limite, heureusement que nous avons Halloween, sinon, on nous ferait fêter Noël trois mois d'avance. Et à fêter Noël des mois d'avance, la fête perd de son charme, de son unicité, de son intérêt. Elle devient banale, donc d'autant moins excitante.
C'est principalement ce constat qui m'a fait m'éloigner graduellement de Noël depuis une dizaine d'années. La fête traditionnelle est de plus en plus rattachée à la consommation de masse et au commerce, alors que ma vie s'est de plus en plus éloignée de ces aspects de notre société; je ne me reconnais donc plus dans Noël.
Pour éviter ces agacements qui me semblent d'ailleurs aux antipodes de ce que représente Noël, même dans le discours moderne (que l'on soit religieux ou non; au sens de la fête de l'amour et de la famille), j'évite donc les magasins et centres commerciaux, j'évite les circulaires de promotion et tout ce qui vient avec. Devant tous ces excès, j'évite cette appropriation de Noël, ce détournement de Noël par une société de consommation galopante et devenue incontrôlable. J'ai du même élan la (fausse) impression d'éviter Noël, et j'éprouve le sentiment que cette prise de contrôle commerciale m'a tout simplement volé Noël.
Père-Noël Hugo,
probablement en 1970.
Paradoxalement, c'est justement quand j'étais loin de ma famille que j'ai pu explorer et apprécier pleinement Noël avec une réelle excitation depuis dix ans. Des premiers balbutiements d'appels audio-vidéo Vancouver-Lac-St-Jean en 2001 aux Noël passés dans la brume de Sapa au nord du Vietnam ou dans le froid humide de l'ouest du Guatemala en 2009-2010, j'ai souvent trouvé dans ces éloignements, ces décors exotiques et ces cultures différentes, une excitation qui faisait de ces Noël un moment magique. Cet éloignement m'a rapproché et a fait de ces Noël quelque chose de différent, de spécial à nouveau.
Comme quoi Noël existe parfois, encore, et qu'il s'agit de le (re)trouver, de se le réapproprier.
C'est donc ce que je vous souhaite, pour que vous passiez tous... un Joyeux Noël.
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