Si par le plus grand des hasards, il est possible, voir souhaitable, de se retrouver dans la baie de Hyères en plein mois de juillet, à quelques encablures d’un Midi Festival à l’aura fantasmée, l’impondérable n’existe pas lorsque l’on foule, début décembre, le pavé de la gare de Rennes. Avec tout le respect que l’on a pour la Bretagne et ses autochtones – aussi loquaces que des marins en perm’ – il fallait bien un démultiplicateur de motivation pour braver vents et marées à la conquête de la blanche hermine. Les Rencontres Trans Musicales – préalablement présentées par nos soins – s’érigent ainsi, du haut de leur trente-troisième édition, tel un phare en pleine tempête, afin de guider, dit-on, cinquante mille de ses fidèles sur les champs défrichés de la découverte musicale.
Jeudi 1er décembre
Jeudi 1er décembre, je pose pied à terre et voilà que le ciel gronde. Sans passer par la case tourisme, je m’introduis dans les interstices de la ville – et sans doute de ce que l’on peut considérer comme étant le plus petit et étroit métro du monde – histoire de récupérer un tiers de la délégation hartzienne, en plus de mes accréditations. L’effervescence d’une métropole étudiante et remuante, galvanisée par le coup d’envoi du festival et de ses célébrations mitoyennes – les Bars en Trans (lire) accueillent à ce titre plus de quatre-vingts groupes sur quinze lieux différents -, n’est pas même entamée par une foutue pluie, aussi glaciale qu’insistante. L’Étage, lieu de confluence des professionnels, est déjà en ébullition : attachés de presse, tourneurs, agents, presse écrite, télévisée, radiophonique, tout le monde est bien là, aux aguets d’un premier verre de la convivialité. Tu m’étonnes. Une inaugurale rasade houblonnée plus loin – aux environs de Sainte-Anne – nous voilà parés pour une immersion en plein cœur des Bars en Trans, précisément au Papier Timbré, non sans avoir failli s’étrangler à l’Ubu dès les premiers accords de Dissonant Nation. Une formation locale que l’on subodore éphémère.
Le temps de commander un admirable vin basque, serti d’une belle planche de cochonnaille, qu’Hannah – duo niçois franchement débarqué de deux dates prestigieuses en compagnie de Girls (Midi Hiver) puis de M83 (Gaîté Lyrique) – étale ses penchants pour une folk toute en contrastes, quelque part à chercher entre classicisme ouvragé et gouaille débraillée. Succédant à un premier EP de bonne facture, le premier LP du groupe à paraître début 2012, People in the Mirror Are Closer Than They Appear, s’annonce tout aussi recommandable. Comme prévu, on zappe La Femme – car non, ce n’est plus possible – pour filer à la Liberté assister à la performance de Lewis Floyd Henry, sorte de « clochard céleste » emboîtant ostensiblement le pas à Hendrix. Bien que son blues éraillé ne laisse pas de marbre, il ne captive mon attention que le temps de trois ou quatre morceaux à l’homogénéité déconcertante. Je dis trois ou quatre morceaux, en fait je n’en sais rien : l’homme orchestre avoine ses instruments à la force du poignet et des chevilles sans que l’on puisse distinguer de nuances sur la durée, mise à part une sauvage reprise de Protect Ya Neck du Wu-Tang. Le bar pro nous tend alors les bras, et ce n’est pas le reste de la programmation qui nous retiendra plus longtemps dans une Liberté très vite désertée par le gros du public. Mention spéciale et titre honorifique de plus belle escroquerie du festival – la concurrence étant rude – décernée à Capacocha, croisement inique entre rock putassier et électro poubelle, que l’on nous présentait tel « le vrai monsieur 100 000 volts« . On opte pour la fuite, d’autant que la pluie finit par annihiler toute autre envie que celle de se pieuter.
Vendredi 2 décembre
Un éclatant soleil me tire des bras de Morphée. Qu’importe, les Trans reprennent tôt et le programme est chargé. Première étape, l’apéro des pros à l’Ubu, où comment remplacer le café par le vin. S’ensuit un après-midi de concerts dans cette salle « en coude » pleine comme un œuf. Les trois Juveniles ouvrent les hostilités. Très attendus – notamment depuis leur premier single We Are Young, paru chez Kitsuné – les ex(?)-Wankin’ Noodles et Russian Sextoys font mieux que de ne pas décevoir en délivrant une pop synthétique savamment cadencée et admirablement chantée. Présentés fallacieusement tels d’inénarrables branleurs, on sent poindre, dans chacune de leurs compositions, le souci de l’arrangement idoine, de l’effet recherché. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ça marche. Également de Rennes, le duo Splash Wave – que l’on avait tôt fait de découvrir via un single sur Beko DSL, à télécharger par ici, et que l’on retrouve maintenant du côté de Third Side Records – ne se fait pas non plus prier, de sa synth-pop hyptnotico-robotique, pour épaissir encore un peu plus cette intime impression d’être déjà en train de divaguer en plein cœur de la nuit. Claviers à la coloration eighties revendiquée, batteries électroniques métronomiques et voix vocodées à satiété, l’espace-temps se dissout et c’est l’insupportable chaleur qui nous pousse à l’exil sans même avoir entendu l’échalas Wagner prêter sa voix le temps d’une « orgasmique » collaboration. J’exagère à peine, mais vous, vous n’avez pas eu à gérer la horde de groupies qui s’en suivit. Exit donc, et avec regrets, Wonderboy – soit un autre Wankin’ Noodles, Sébastien Thoreux, rencontré par ailleurs au bar à champagne (sic) – et Shiko-Shiko, dont on ne cessa de me vanter la folle énergie. Pour ma part, je n’ai retenu des Lillois – dont le patronyme signifie masturbation en nippon – que le chanteur déguisé en chapon. C’est déjà ça.
Promesses tenues, nos pérégrinations empruntent les chemins des Bars en Trans pour le second soir consécutif. Funeste hésitation à l’heure de sévèrement entamer l’apéro – en gros, au moment où la bière commence déjà à nous assommer de redondance. On loupe The Feeling Of Love pour assister à la performance des Canadiens de Pat Jordache, autres rejetons présents de l’écurie Constellation Records avec le souffleur de chibre Colin Stetson. Une heure d’attente et trois whiskies plus loin, toujours rien. On plie bagage et on s’incruste au Museum Café, désireux de voir enfin Yan Wagner à l’œuvre. Sinistre lieu et infernale programmation attenante – le crooner à la gueule d’ange étant coincé entre les affreux Mc Luvin et les vomitifs Young Empire – pour une prestation du Parisien plus amoureux ici du dancefloor que quiconque. Emballant les cœurs et les jambes de sa synth-pop noire et mélodieuse, élégamment teintée d’électronique, notre homme – en sus d’une foultitude de remixes – s’apprête à sortir un EP début 2012, puis un LP au printemps.
Hélène, photographe patentée du trio, trépigne : le Norvégien Todd Terje s’apprête à investir le Hall 9 du Parc Expo. On oublie la navette et on chope un taxi qui fera le boulot : nous voilà en lieu et place à l’heure dite. Loin d’être désert, le hall sonne un tantinet creux malgré la house rafraîchissante du Scandinave, susceptible de cristalliser funk et disco d’un même tenant. Je me désolidarise histoire d’égayer mon gosier, et là les ennuis commencent. Qui n’a pas vu Las Vegas Parano ne peut comprendre la perte de repères temporels qui s’en suivit. Une nébuleuse masse de corps grouillant, dégoulinant d’ivresse, inhibe alors mon élan naturel pour un Parc des Expo à la démesure aussi glauque qu’une citée-dortoir moscovite. Escalade du bruit et nimbes cauchemardesques, la nausée atteint son paroxysme à l’épreuve de la soupe servie en grande pompe par SBTRKT. Il faut vraiment faire semblant et soigner le paraître pour bouger son cul au son ratatiné de cet énième duo croyant bon de réinventer le dubstep. Aaron Jerome fait bien de se produire masqué, car au détour d’une ruelle, je ne dois pas être le seul à vouloir lui briser les os. James Blake et ses psalmodies peuvent en témoigner. Je me perds à nouveau pour le monde, passant en revue d’un haussement d’épaule l’indigence sonore des Stuck In The Sound – putain mais c’est quoi cette blague ? -, quand le bar à champagne emporte définitivement mon attention. Trop peut-être. Quatre du mat’, la nuit se dilate dans la plus grande des perplexités tandis que Factory Floor – trio briton couvé par Stephen Morris – amenuise de son acidité sérielle les derniers souffles de vie d’un public clairsemé. Bien qu’on aurait aimer goûter cette techno glaciale aux pulsations kraut et extatiques, dans un espace nécessairement confiné, le rendez-vous avec cette récente signature DFA est d’ores et déjà pris pour 2012. Avec tous les risques que cette dernière laisse imaginer.
Le jour point à l’orée de notre insouciance quand, de notre plein grès, nous nous acheminons en plein coeur du centre-ville de Rennes, histoire de déguster une galette saucisse des familles. Pour d’autres, la galette, c’est dans les chiottes.
Samedi 2 décembre
13h30, Sylvain harcèle mon téléphone tandis que je mégote les restes de la veille. Hanni El Khatib accepte notre demande d’interview et c’est en toute frivolité que nous nous pointons à l’Étage. Si la rumeur veut que ce dernier ait récemment agressé un journaliste muni d’un stylo Bic (sic) – celui-ci lui ayant fait remarquer que sa musique était à comparer à celle des White Stripes – la réalité veut que le garçon, d’humeur badine et honoré d’être là, soit aussi prévenant que courtois. Sur la table, il n’y a que des Haribo, l’attentat semble loin. On quitte celui qui n’a que le nom « pour faire de la world music » – préférant sans hésitation la poussière d’un rock garage âpre et référencé – pour aller s’enquiller quelques tournées de Guiness. Car les Trans c’est aussi les copains, ouais, ouais. Hélène s’en va de son côté à l’Aire Libre shooter les Kutü Folk, en résidence depuis jeudi. Délicate attention que d’avoir casé les Auvergnats et leur ribambelle de groupes à faire chialer moineaux et perdrix hors de ma portée. St Augustine, The Delano Orchestra, Hospital Ships, Evening Hymns… Je le redis sans honte à quiconque en a quelque chose à foutre, la folk minaudée a tendance à me faire copieusement chier. C’est donc sans regret aucun que je rejoins l’équipe de Modzik en plein work-apéro. Ça rigole, ça plaisante, mais si la couleur de la bière change, la distance nous séparant du Parc des Expo reste ce qu’elle est : une foutue corvée. On zone puis on chope un tacot, mais le mal et bel et bien fait : du fait d’une trop grande affluence, l’accès au concert d’Hanni El Khatib relève de l’impossible. Dommage.
D’ailleurs, un rapide coup d’œil aux proches alentours lève le doute : le Parc des Expo est blindé et dégueule de viande saoûle. J’ai tout autant de mal à m’enthousiasmer pour le récit narrant la performance des minots de Carbon Airways – on parle quand même d’un mash-up Jordi Vs Crystals Castle – que pour les ambitions ubuesques d’un Don Rimini perchant sa table de mixage à vingt mètres de hauteur. Il faut bien ça pour s’étonner d’autre chose que de la grégarité d’une techno ultra conventionnelle, à quelques beats près de ses Ed Banger de potes.
Les odes rappées, iconoclastes et addictives de Shabazz Palaces, tout comme les nappes électroniques d’un Agoria plus qu’acclamé, sauvent les meubles d’une soirée en manque cruel de héros et de légendes. Des inutiles Spank Rock aux éclectiques Janice Graham Band et autres Nguzunguzu, il est définitivement trop compliqué pour nous de faire autre chose que de turbiner non loin du bar. Après tout, cela fait partie du jeu et le DJ du bar pro sait tenir ses ouailles à merveille. Qu’il se dénonce.