Qui ne connaît l’apport des taxis de la Marne dans la défense de Paris en septembre 1914 lorsque 600 d’entre eux furent réquisitionnés pour servir de moyen de transport aux fantassins de la 7e division d'infanterie ? Moins connu est l’utilisation des bus parisiens par l’armée française ; pourtant tout aussi importante et qui dura tout le long de la première guerre Mondiale. Le problème à l’époque était d’assurer le ravitaillement des troupes. Les entreprises de constructions mécaniques avaient d’autres chats à fouetter avec la conception et l’élaboration d’engins militaires. Aussi, décida-t-on de recourir aux autobus de la Compagnie Générale des Omnibus Parisiens. Un millier de ces véhicules furent retirés du réseau parisien et réaménagés en transport de denrées périssables afin de ravitailler les troupes sur le front, notamment en viande fraiche. On remplaça les vitres par des grillages afin d’aérer l’intérieur. On substitua aux barres de maintien et autres mains courantes, des crochets de boucherie, on supprima les sièges, et ainsi les carcasses animales pouvaient y prendre place. Gros avantage sur les attelages à 2 chevaux utilisés au début de la guerre, le moteur. En effet, seule la traction mécanique permettait d’arriver près du front sans que la viande ne soit gâtée.
Cette initiative de secours fut particulièrement efficace. Un bus pouvait contenir la viande nécessaire à un régiment entier, soit 3 bataillons de mille hommes appelés au début de la guerre, des pioupioux ! (voir photo ci-dessous). Plus de 250 bus purent alimenter efficacement les 20 corps d’armées françaises qui combattaient sur le front et participer à la victoire finale. Cette unité s’appelait le RVF, pour Ravitaillement en Viande Fraîche.[1]
Si cette histoire est oubliée, une autre, bien plus célèbre, y prend directement son origine.
Deux hommes servant dans la section B70 du RVF allaient contribuer à la naissance quelques années plus tard, d’une marque commerciale connue dans le monde entier.
Le premier, Benjamin Rabier est déjà bien connu pour ses illustrations et ses histoires largement publiées avant guerre. Lorsque l’état-major décide d’attribuer un emblème à ce nouveau corps, Benjamin Rabier s’inspire de l’ennemi. Si les allemands ont attribué aux unités de transports de troupe l’emblème des Walkyries, pourquoi ne pas faire comme eux ? Et avec son humour légendaire, il se décide à créer un emblème parodique, la « Wachkyrie ». Qu’il dessine aussitôt.
Le projet est accepté par les autorités militaires – comme quoi, à l’époque, on savait apprécier la raillerie –et bientôt, une tête de vache hilare est apposée sur tous les bus du RVF.
Le second, Léon Bel, se souviendra de ce dessin de vache lorsqu’il lance son fromage industriel en 1921. Il fait appel à Benjamin Rabier pour quelques retouches – notamment les boucles d’oreilles. L'imprimeur Vercasson accentue le côté ironique en lui offrant une livrée rouge. La « Vache qui rit » est née. Elle est alors sous conserve. Pour peu de temps. Mais ceci est une autre histoire qui a largement été racontée ici et là…
Il est toutefois utile de se souvenir que le plaisir qu’apporte ce fromage industriel aux enfants de part le monde entier doit son origine à une autre histoire nettement moins bucolique que ce que la marque pourrait laisser croire.
[1] Pour plus d’informations, voir le magazine CHARGE UTILE MAGAZINE N° 43 de juin 1996.