Le méchant consumérisme de Noël

Publié le 23 décembre 2011 par Copeau @Contrepoints

Le méchant consumérisme de Noël

À l’approche des fêtes, le Français se réveille et constate que la société dans laquelle il vit est un vaste cloaque de surconsommation méchante qui nous fait acheter des Sapins du Diable, des Guirlandes Kapitalistes et des Cadeaux Néolibéraux dont on n’a pas vraiment besoin pour survivre dans la toundra, mais on ne le sait pas tout occupé qu’on est à être de mauvaises personnes faibles et veules…

En général, le râlement anti-consommation s’établit rapidement autour de l’importance prise par l’argent (« En ces temps de fêtes, rappelons-nous mes biens chers frères athées et autres que le plus important c’est la famille les amis tout ça et pas l’argent » ), qui est partout ma bonne dame, sans plus de détails. Au passage, on se demande exactement quand et où ceux qui râlent ainsi ont vécu pour pouvoir se passer d’argent et ne jamais rien avoir à acheter (En URSS ? Allons. Même là-bas, l’argent était nécessaire.)

Mais la question mérite donc d’être posée : en quoi la société de consommation, en tout cas telle qu’elle est décriée au moment des fêtes, est-elle Le Mal ? En quoi le consumérisme est-il vraiment très très méchant ?

(Note : j'emploie par la suite le terme de consumérisme dans le sens associé à la société de consommation, idéologie où la consommation de biens revêt une importance capitale - ce n'est pas l’étymologie anglaise, mais je pense que vous comprenez de quoi on parle.)

Eh bien en posant la question autour de vous, vous aurez parfois des réponses, délicieusement teintées par la période des fêtes, et très vaguement à côté de la plaque, qu’on peut résumer aux grandes catégories suivantes…

Il y a, tout d’abord, la comparaison avec le passé.

Ainsi, par le passé, qui était mieux avant, on ne recevait qu’une orange à Noël et on était super content. On mettait de la paille dans ses sabots et les bebes mouraient en bas-âge, ce qui était quasiment le summum de l’extase sobre.

On ne déchargeait pas de musique gratuite sur youtube, on ne copiait pas de cassettes vidéos, on n’allait pas se renseigner gratuitement sur Wikipedia, ni trouver son chemin tout aussi gratuitement sur GoogleMaps, toutes ces choses étaient réservées aux riches et c’était autant de gagné pour la population qui se vautrait dans le bonheur vertueux de ne rien avoir d’autre que les engueulades en famille pour s’occuper.

Le passé, joyeusement ni nucléaire ni radioactif, devient alors un modèle, une référence qui permettait à la femme moderne de l’époque de faire tremper son linge douze heures avant de le laver à la main pendant quatre heures, en nettoyant les taches de vin rouge avec du vin blanc et en brossant pendant deux heures le vieux tapis tout moche de la maison au lieu d’aller à Ikea en acheter un nouveau tout beau, pour moitié moins cher.

Il y a ensuite la dénonciation du trop-plein d’inutile.

Que voulez-vous (ma brave dame), on achète à l’évidence plein de choses dont on n’a pas besoin : chaussons, tapis de douche, rideaux de douche, porte-manteaux et outils, slips bleus et iPods. Et tout ce qui n’est pas composé de bonne chaleur humaine citoyenne et festive, de tissu social et de relation humaine, c’est parfaitement inutile, tout le monde sait ça.

Dans ce chapitre, le choix et la quantité de yaourts en vente dans les rayons de supermarchés sont apparemment de bons candidats pour la dénonciation du consumérisme. Avoir le choix entre cinquante sortes de fromages est quelque part immoral, puisqu’un seul suffit. On pourrait arguer que cette offre est le résultat de la prospérité, mais un autre argument déboule alors avec ses gros sabots : c’est mal d’être prospère quand les pays du Sud sont pauvres et doivent se contenter d’un seul criquet grillé pour dessert (et encore, un petit qui a réduit à la cuisson à cause des hormones).

Corollaire: les super-pauvres, les vrais pauvres donc, ne se plaignent pas de devoir se torcher avec la main gauche sans papier (ni triple, ni double épaisseur : sans papier tout court – d’ailleurs Guéant pourra le confirmer, le pauvre est toujours sans-papier). Ils sont donc dans le pur, le vrai, la non-consommation salvatrice qui respecte les vraies valeurs du partage humain (attention, avec la main droite seulement, hein, pas de gaffe).

Conclusion: la misère est une vertu.

(Ça tombe bien, avec ce qui arrive sur le plan économique, je pense que les Français vont devenir super-vertueux, youpi.)

Les pauvres savent être heureux avec trois fois rien.

Eh oui. Prenez donc les gens qui vivent à Cuba. Ils n’ont rien et sont très heureux. N’est-ce-pas.

Ici, histoire de ne pas faire partir le repas de famille en essais balistiques avec la bûche de la grand-mère, je propose de garder pour vous l’idée même que l’apothéose logique en matière de bonheur, après la saillie « Cuba », s’est rencontrée au goulag ou à Dachau, où le dénuement était vraiment total ; ceci constituerait un affreux point Godwin et ce n’est pas le genre de la maison, hein.

Et puis en outre, comme vous ne connaissez rien des réalités vraies de Cuba (en bon capitaliste logique, vous n’y avez pas passé vos vacances pour y soutenir le régime castriste), vous ne ramènerez pas votre fraise. C’est tout. Et vous oublierez que les gens n’y ont apparemment pas la possibilité d’acquérir une voiture de moins de 60 ans ou de repeindre leur façade (chacun sait qu’il y a un blocus embargo américain sur les Twingos Diesel et la peinture-bâtiment — mais si, mais si). Du reste, s’il faisait moins cinquante à chaque hiver par là-bas comme dans le Wisconsin, le bonheur serait vraiment total. Au lieu de ça, ces cons se vautrent dans le luxe consumériste immoral du soleil et de la plage à touristes. J’ai bon ?

Le pire, c’est qu’on force les gens à consommer !

Les gens (généralement, les autres) — qui sont bien entendu des idiots — ont la fâcheuse tendance à s’endetter et à consommer au delà de leurs moyens. Le coupable est alors l’offre disponible dans les grandes surfaces qui leur tourne la tête et leur fait acheter tout et n’importe quoi. Paf, compulsion.

Certes, il existe bel et bien une consommation d’objets « de statut » : une grosse télé, une grosse voiture, un téléphone portable aussi petit que dernier cri, le tout acheté pour être normal et ne pas avoir l’air d’un pauvre, ou pour se faire plaisir quand on n’a pas vraiment les moyens. Et il est vrai que certaines personnes font ça, d’autant plus facilement qu’on distribue (distribuait, disons) du crédit facile.

Avec la crise, ce sera franchement moins vrai.

À la racine, cependant, il s’agit d’un problème d’irresponsabilité : en ayant consciencieusement rendu le consommateur lambda aussi irresponsable que possible de ses achats, de son budget, de ses revenus et de ses dépenses (habilement camouflées dans des petites lignes cryptiques d’une feuille de salaire fleuve), on a pavé la route à ce genre de comportements. Et il est finalement relativement cocasse de noter que les biens qui nous inondent sont produits dans des pays qui perdent progressivement leur statut communiste, pendant que l’irresponsabilité, produit parfaitement local, inonde rapidement nos pays qui perdent graduellement leurs derniers oripeaux du capitalisme.

Au final, après ce petit tour d’horizon des principaux arguments contre la méchante société de consommation (en période de fêtes de fin d’année), on ne peut que se réjouir : la vilaine prospérité est partie pour ne pas rester. Joie ! Exultancéxabération ! La récession sera notre sauveuse. Je veux dire sauveurE. Je veux dire, LE récession sera notre sauveure. (Voilà qui est mieux.)

Et le pire, dans tout ça, ce n’est même pas de consommer, mais c’est de montrer ostensiblement qu’on le fait, sans honte.

Voilà : le consumérisme en période de fêtes, c’est mal. Et l’ostentation, c’est l’übermal, c’est se la raconter avec un sapin de Noël décoré avec des loupiotes qui clignotent bêtement.

C’est vrai quoi zut à la fin : salaud de sapin qui affame les Chinois et fait réduire à fond les criquets lors de leur friture !
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