Avec l’adoption hier au Parlement, en première lecture, de la proposition de loi qui vise à pénaliser la négation du génocide arménien, c’est la liberté scientifique qui se réduit, la liberté d’expression qui rétrécit.
Par Jean-Baptiste Noé
Nous avions déjà la loi Gayssot (1990), qui pénalise la négation du génocide juif, la loi Taubira (2011), qui déclare crime contre l’humanité la traite négrière organisée par les Européens, nous avons désormais une proposition de loi qui vise la pénalisation de la négation du génocide arménien. À chaque fois, c’est la liberté scientifique qui se réduit, la liberté d’expression qui rétrécit.
Des lois qui musèlent la liberté de recherche
Qu’il y ait des illuminés qui, pour des raisons politiques, nient un génocide, c’est une chose, mais cela ne doit pas pénaliser les recherches scientifiques en les muselant. De nombreux historiens ont déjà été poursuivis en justice par des associations à buts politiques qui se servent de ces lois comme prétexte pour faire taire ceux qui ne pensent pas comme eux.
Ce fut Olivier Pétré-Grenouilleau qui, dans un livre assez conformiste, a expliqué que la traite fut un phénomène global, qui n’a pas touché que l’Europe, et qu’elle fut organisée et conduite par des Africains, qui s’est retrouvé sous le coup d’une cabale journalistique et universitaire [1].
Ce fut ensuite Sylvain Gouguenheim qui, dans son livre Aristote au Mont Saint-Michel, a rappelé ce que tout le monde sait : que le savoir antique n’a pas été entièrement transmis à l’Europe par les musulmans mais que les Européens ont conservé et développé eux-mêmes cette culture. Ce livre fut l’occasion d’une nouvelle crise intellectuelle dans le milieu universitaire [2].
À chaque fois le politiquement correct et l’historiquement conforme se servent de ces lois pour faire taire les historiens qui auraient le malheur de mentionner des faits qui ne vont pas dans le sens de la pensée unique. Avec cette loi annoncée, de nouvelles têtes vont tomber.
On comprend la tactique politique des députés : voulant empêcher l’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne, et sachant qu’Ankara ne peut pas reconnaître le génocide arménien, ils cherchent à pénaliser cette négation pour barrer définitivement la route à la Turquie. C’est une digue bien dérisoire face à l’inexorable machine européenne.
À quoi sert le Parlement ?
De façon plus générale, cette loi est l’occasion de s’interroger sur le rôle du Parlement. Est-il là pour écrire l’histoire ? Par ces lois mémorielles, les députés n’outrepassent-ils pas leur rôle ?
Le problème des députés français, c’est qu’ils ont abdiqué leur souveraineté et réduit volontairement leur liberté.
Plus de 60% des lois qui régissent la France sont le fait de Bruxelles et non pas de Paris. En soutenant le quinquennat, ils ont profondément transformé la lettre et l’esprit de la constitution : désormais élus dans la foulée du Président de la République, ils savent qu’ils lui doivent leur siège. Cela fait d’eux des supplétifs de l’Élysée, par le quinquennat ils ont perdu la liberté politique que leur donnait le septennat. S’étant peut-être trop habitué à restreindre leur liberté, ils cherchent, par les moyens d’une compensation inavouée, à restreindre aussi la liberté des autres. N’ayant plus que peu de poids sur la politique économique, diplomatique ou législative de la France, ils essayent peut être de se consoler et de s’illusionner sur leur utilité et leur rôle, en fabriquant des lois qui fassent parler d’eux et qui leur donne l’impression de peser dans le débat intellectuel.
Mais au lieu de le relever, cette loi ne fait que rabaisser le rôle du Parlement, et plus singulièrement de l’Assemblée Nationale. En s’immisçant dans un domaine qui n’est pas le leur, les députés abusent de leur fonction. Et l’on a beau reprendre et relire le texte, on ne comprend vraiment pas en quoi celui-ci sert les intérêts de la France. Ankara prendra des sanctions contre Paris (lors d’un précédent examen, un contrat avec Eurocopter avait été annulé par la Turquie), et ce n’est pas Erevan qui compensera cela. Où est l’intérêt de la France à pénaliser la négation de ce crime ? Bien au contraire, les députés donnent l’impression amère de céder à la pression des lobbies. Parce que la communauté arménienne de France dispose de bons réseaux au Parlement, alors elle a fait adopter sa loi. Il faudra donc prendre acte que l’Assemblée n’est plus nationale, que les députés ne sont plus les représentants de la Nation, mais les défenseurs de groupes de pression particuliers.
S’agiter et fermer les yeux
Hélas pour les députés, le Destin, cette marque de l’histoire qui agitait les Grecs, est bien tragique pour eux. Ainsi, alors qu’ils s’apprêtent à voter une loi pour pénaliser un génocide, un historien, interdit d’université pour avoir dépouillé des archives sensibles, publie un livre sur le concept de mémoricide [3]. Réécriture de la mémoire d’une part, négation de la mémoire d’autre part. Nos parlementaires s’agitent sur les génocides commis par les autres, mais ferment les yeux sur ceux commis en France, par la République. Mais comme l’histoire est capricieuse, nous suggérons à l’ambassadeur turc de demander à son gouvernement de pénaliser la négation du génocide vendéen. Mémoire contre mémoire, crime inavoué contre crime oublié, ce serait un beau pied-de-nez à la bêtise mémorielle que de rappeler au régime son histoire qu’il ne veut pas voir.
Et puisque les députés s’agitent sur un génocide commis il y a bientôt un siècle, combien de temps faudra-t-il attendre pour qu’ils prennent les mesures nécessaires pour empêcher des crimes qui ont lieu maintenant ? On aimerait les voir un peu plus prolixe sur le massacre des Coptes en Égypte, sur l’épuration des chrétiens d’Orient, sur le génocide peut-être avéré des Hmong du Laos. Est-ce qu’en 2111 les députés français pénaliseront la négation de ces crimes ? Et quelle a été l’attitude des députés français en 1915 lors du génocide arménien ? Ont-ils cherché à l’éviter, où sont-ils passé outre ? À vouloir trop jouer avec l’histoire et la mémoire, nos chers parlementaires s’exposent à un retour de flamme brûlant : les historiens auront le mot final de cette histoire.
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Notes :
[2] Sylvain Gouguenheim, Aristote au Mont Saint-Michel, Paris, Le Seuil, 2008. L’historien a été tellement traumatisé par la violence des propos tenus à son égard qu’il ne mentionne plus ce livre dans sa bibliographie.
[3] Reynald Secher, Vendée : du génocide au mémoricide. Mécanique d’un crime légal contre l’humanité, Paris, Le Cerf, 2011.