A propos de Le Havre d’Aki Kaurismäki 4 out of 5 stars
André Wilms, Kati Outinen
Au Havre, Marcel Marx, ex-écrivain et cireur de chaussures, mène une vie de bohème dans un quartier populaire de la ville portuaire. Un jour, il reçoit la visite inopinée d’un enfant, clandestin gabonais qui est parvenu à échapper à la police. Marcel et sa femme Arletty décident de prendre l’enfant sous leur aile. Mais le commissaire Monet rôde dans le quartier et soupçonne de plus en plus le couple de cacher l’enfant.
Il faut peu de temps pour rentrer dans le nouveau film de Kaurismäki, pour reconnaitre le style et l’univers à la fois loufoque et teinté de tragique du réalisateur finlandais. On pense aux films de Iosseliani. Le premier décalage de Le Havre vient de ses nombreux anachronismes. L’histoire se passe en 2009, à l’époque du démantèlement de la « jungle » à Calais qu’occupaient des réfugiés kurdes mais aussi en 1980 (autocollant sur un prise-brise).
L’ensemble du film semble baigner dans les années 1970 (costumes, voitures, etc..). Mais le réalisme semble être la dernière préoccupation de Kaurismäki dans ce film aux fortes connotations sociales et qui dénonce la brutalité des méthodes policières tout en dépeignant un commissaire Monet (Darroussin, à l’aise comme un poisson dans l’eau) très humain et qui fermera les yeux sur les agissements de Marcel Marx (André Wilms), ce qui donne toutes ses nuances à Le Havre.
André Wilms, Jean-Pierre Darroussin
De situations incongrues, Le Havre n’en manque pas. Le quartier où réside Marcel ressemble à un théâtre de poche où le personnage de Marx s’adresse aux habitants et à sa femme de manière peu naturelle voire théâtrale. Marx (référence à Karl et non à Groucho) est un personnage complexe et aux confins de la marginalité. Recueilli par Arletty alors qu’il vivait dans la rue, c’est un exilé qui cultive ce paradoxe d’avoir fui une certaine société pour mieux en retrouver une autre auprès des commerçants de son quartier dont il se sent très proche.
Les liens de solidarité qui unissent les habitants du quartier à Marcel sont d’ailleurs au cœur de Le Havre. Tous les commerçants du quartier sont complices et cacheront chacun à leur tour l’enfant. Seul un habitant mal intentionné (Jean-Pierre Léaud) dénoncera Marcel.
Avec une épure de moyens caractéristique de son style, avec une certaine poésie inhérente à ses films, Kaurismäki parvient à créer peu à peu des situations saugrenues et burlesques dont le paroxysme est atteint avec cette scène comique inénarrable dans laquelle Darroussin entre dans un bar, un ananas à la main.
Il faut voir le regard incrédule que lui portent les habitués du lieu, le silence pétrifié qui s’installe dans le bar. Dans son imperméable et son chapeau noirs, Darroussin trouve là un rôle à la hauteur de son talent comique.
De l’absurdité, il en est question dans Le Havre. Mais il s’agit bien de celle du monde et de la vie de ces peuples condamnés à errer pour le reste de leur vie. Peut-être Kaurismäki aurait-il pu faire moins dans le « cliché » qu’en choisissant des Africains. On pourrait lui faire d’autres petits reproches, comme de faire durer trop longtemps la scène du concert du rocker « Little Bob ».
Mais le regard critique qu’il porte sur la manière dont sont traités les clandestins à leur arrivée brûle autant par son acuité que par l’actualité du sujet qu’il traite, révélant de nouveaux questionnements chez Kaurismäki alors même que le réalisateur se demande s’il n’a pas fait là son dernier film. On ne l’espère pas. Car comment pourrait-on se passer de ce regard non pas cynique mais un brin désespéré, et ce sens de l’ironie qui révèle une vision du monde un rien désabusée…
www.youtube.com/watch?v=I1uE-hNAg3c
Film français et finlandais d’Aki Kaurismäki avec André Wilms, Jean-Pierre Darroussin, Kati Outinen, Blondin Miguel… (01 h 30).
Scénario : 3 out of 5 stars
Mise en scène : 4 out of 5 stars
Acteurs : 3.5 out of 5 stars
Dialogues : 3 out of 5 stars