On aurait dû accélérer les politiques libérales en Europe. On a fait tout le contraire. Et cela est particulièrement vrai de la France.
Par Alain Madelin
L’euro fait débat. Souffre-t-il d’un vice de construction ? A-t-on oublié de constituer un gouvernement économique de la zone euro à ses côtés ? Est-il par construction une erreur ? A-t-on commis des fautes dans sa mise en œuvre ?Comme ministre de l’économie et des finances ayant initié en 1995 le programme de réduction des déficits publics (5% puis 4%, 3%… de déficit/PIB) qui a permis de qualifier la France pour l’euro, je suis associé à sa construction. Et il est clair pour moi que nous ne nous sommes pas donné les moyens dans la décennie 2000-2010 de réussir l’euro. Que de nombreuses erreurs ont été commises.
J’ai eu la curiosité de relire mes analyses et mes positions sur l’euro depuis les prémisses de la monnaie unique. Franchement, je pense avoir fait les bonnes analyses et expliqué pourquoi les politiques suivies allaient inéluctablement conduire à une crise de l’euro. J’en livre ci-après quelques extraits aux lecteurs.
Comme l’avait très justement dit l’ancien patron de la Bundesbank, Karl Otto Pöhl, l’euro aurait dû s’accompagner d’une politique « de déréglementations, de privatisations, de bas taux d’intérêts et d’allègements fiscaux ». Bref, on aurait dû accélérer les politiques libérales en Europe. On a fait tout le contraire. Et cela est particulièrement vrai de la France.
C’est dire que la difficile sortie de la crise de l’euro exige – et exigera – un retour des politiques libérales en Europe.
Pour sortir du piège de la déflation
Alain Madelin, Le Monde, 30 août 1996
« Si demain l’euro devait être une monnaie surévaluée par rapport au dollar avec des taux d’intérêt trop élevés, nous risquons de faire de la future zone euro une zone de déflation-dépression économique de nature à conduire à l’explosion sociale et à l’implosion européenne ».
Le modèle fédéral européen
Discours d’Alain Madelin, 5 décembre 1998
« Nous avons voulu l’Euro et l’Union monétaire européenne. L’euro peut être un formidable atout pour la prospérité et pour l’emploi, à condition toutefois de transformer l’essai de la monnaie unique. La réussite de l’euro implique que les États membres mettent en œuvre des réformes visant à assainir leurs finances publiques, à opérer les réformes structurelles et économiques indispensables, à réduire globalement le poids de la fiscalité, à limiter la bureaucratie, et à simplifier les contraintes administratives. À améliorer le rapport coût-efficacité des services publics et à introduire plus de flexibilité, notamment sur les marchés du travail.
Mais nous savons aussi que l’euro peut aussi se traduire par davantage de chômage si l’on maintient ou aggrave nos rigidités économiques et sociales.
Écoutons Karl Otto Pöhl (La Tribune, 30 avril 1998, ex Président de la Bundesbank) : « Il ne faut pas sous-estimer les risques et prendre garde que l’union monétaire européenne ne se traduise par plus de chômage. Les pays de l’euro doivent opter pour une stratégie de croissance. Une stratégie faite de dérèglementations, de privatisations, de bas taux d’intérêts et d’allègements fiscaux ».
Si l’on supprime l’ajustement par les taux de change, et si l’on veut éviter que le chômage devienne la seule variable d’ajustement, il faut permettre le cas échéant, l’ajustement des différences de productivité, de durée du travail ou de démographie, par des différences de coût, de charges et d’impôts.
C’est dire que toutes les politiques qui se proposent, au nom de l’harmonisation fiscale ou sociale, de gommer les différences nécessaires en Europe, doivent être regardés avec beaucoup de prudence et beaucoup de méfiance ».
« Il est indispensable de poser un acte III européen »
Alain Madelin, La Tribune, 8 octobre 2001
« Au-delà du Pacte de stabilité et de croissance, il faut aujourd’hui engager une nouvelle initiative européenne. Nous avons eu l’acte unique en 1986 qui a créé le marché unique. Nous avons eu l’acte II avec le traité de Maastricht en 1992, l’euro et le Pacte de Stabilité. Pour répondre à la crise actuelle et ouvrir une vraie perspective de croissance européenne autonome et de retour au plein emploi, je crois qu’il est aujourd’hui indispensable de poser l’acte III : sceller un nouveau pacte européen nous engageant dans un calendrier de réformes structurelles, de réduction de la part des dépenses publiques et de baisse des impôts ».
Comment retrouver la croissance perdue
Alain Madelin, Le Figaro, 26 juillet 2003
« L’euro implique, on le sait depuis le début non la chimère d’un super gouvernement européen doté de pouvoirs de transfert, mais d’audacieuses réformes libérales donnant à nos économies et à nos marchés de travail toute la souplesse d’ajustements nécessaire en cas de choc.
Dès lors que les cours des monnaies ou les taux d’intérêt ne peuvent plus servir d’ajustements économiques, les ajustements monétaires ne sont plus possibles, l’euro implique une discipline politique collective. C’est le pacte de stabilité et de croissance. Pour éviter que l’excès de dépense publique de quelques uns ne pèse sur les autres, il institue légitimement des limites au déficit et à l’endettement.
Mais en empêchant ainsi heureusement les mauvais déficits des dépenses publiques « improductives » (comme l’embauche de fonctionnaires ou les 35 heures…), le PSC interdit aussi malheureusement les déficits provisoires « productifs » liés à une réforme en profondeur de l’État ou à une baisse des impôts.
Aujourd’hui, c’est l’impasse. On voit mal comment l’Allemagne et la France pourraient être sanctionnées pour leur déficit excessif, mais l’on voit tout aussi mal comment les bons élèves de l’euro pourraient laisser filer les déficits d’autres pays sans opposer leur veto.
Bonne nouvelle pourtant ! En France, l’ambitieux agenda 2010 du Chancelier Schröder constitue une vraie remise en cause de son modèle sclérosant de l’État-providence. En France, la réforme des retraites – quelque en soit les imperfections – l’a finalement emporté sur les blocages syndicaux. Même si la victoire reste fragile, la route des réformes est ouverte.
La reprise est possible à quatre conditions. Les deux premières nous sont extérieures, les deux autres concernent la France :
> Nous avons besoin de la remontée du dollar pour oxygéner la croissance européenne ;
> Nous devons éviter une dépression déflationniste en France ;
> Nous devons baisser les impôts ;
> Nous devons retrouver les maîtrises de nos dépenses publiques et accélérer les réformes.
• L’euro est trop fort au regard des fondamentaux de l’économie européenne. Il s’est apprécié par rapport au dollar, mais aussi par rapport à toutes les monnaies des grands pays exportateurs (dont la Chine) qui sont de fait rattachées au dollar. Nos exportations souffrent. Si la France peut aisément s’accommoder d’un euro qui se rapproche de sa parité d’origine, un pays comme l’Allemagne qui est entré dans l’euro avec un Deutsch Mark surévalué de 10 à 20% continuerait de souffrir. La désindustrialisation menace…
La baisse de l’euro est nécessaire et elle se fera. Le problème, c’est qu’elle ne se décide pas, car les taux de change sont le résultat d’une interaction extrêmement complexe entre les soldes commerciaux, les investissements des entreprises, les flux financiers et les entrées et les sorties de capitaux à court terme.
• En France, il faut espérer que le programme de réforme engagé portera ses fruits et que surtout la France ne connaîtra pas de séisme industriel ou financier propre à ébranler le secteur bancaire.
• En France, l’audace réformatrice se mesure désormais à l’audace fiscale. Il est d’ailleurs frappant de voir que l’Allemagne, pour sortir de ses difficultés, accélère les baisses d’impôts quand en France on imagine de les repousser. Il ne faut pas attendre le retour de la croissance pour baisser les impôts, il faut baisser les impôts pour retrouver la croissance. Il ne suffit pas d’ailleurs de baisser les impôts en additionnant pêle-mêle la baisse de la TVA sur la restauration, diverses exonérations fiscales, une nouvelle ristourne sur l’impôt sur le revenu et sur la baisse des charges sociales. Il faut engager une réforme d’ensemble de la fiscalité française : la réforme de l’impôt sur le revenu (intégrant la CSG comme impôt de base payé par tous les Français auquel s’ajoute un impôt proportionnel avec un taux maximum de 35%, avec une retenue à la source), la refonte d’ensemble de la fiscalité du patrimoine incluant les successions et l’ISF, la fiscalité de l’entreprise qui doit être compétitive. La baisse des impôts déplace les richesses, la réforme fiscale les multiplie.
• La réduction de la dépense publique est un impératif. Le gouvernement s’y engage, mais les coupes budgétaires ne suffisent pas. Seule la réforme de l’État (la remise en cause de son périmètre, de ses missions et de sa gestion, la réforme de l’éducation) la réforme des systèmes sociaux et du marché du travail – permettra d’obtenir une réduction efficace et durable de nos dépenses publiques.
Baisse des impôts et baisse de la dépense publique ne s’excluent pas ; elles doivent être menées de front. La baisse de la dépense publique permet d’amorcer la réforme fiscale. Celle-ci engendre une nouvelle croissance qui augmente les recettes fiscales. Au total : ce n’est pas tant la dépense publique qui est réduite, mais la part de cette dépense dans la richesse nationale.
Ce n’est pas en cherchant à accommoder nos déficits publics à Bruxelles que l’on retrouvera le cercle vertueux de la croissance et de l’emploi, mais c’est en s’attaquant aux déficits de réformes accumulés depuis tant d’années ».
Vivement la crise : Déficits persistants, panne de réformes libérales, croissance molle…
La crise de l’Europe et de l’euro s’annonce
Alain Madelin, La lettre des Cercles Libéraux, 4 novembre 2005
« Dans le monde d’aujourd’hui, une politique «illibérale» n’est pas soutenable. La France ne pourra pas continuer longtemps à accumuler les déficits, à reporter ses dépenses d’aujourd’hui (fonctionnement de l’État, assurance maladie…) sur les générations futures. Rappelons qu’à partir du 28 octobre l’État vit à crédit.
Avec la disparition du franc et l’arrivée de l’euro «les ballons d’oxygène monétaire dévaluationnistes» dont parle Raymond Barre ne sont plus possibles. Et si pour mettre en œuvre l’euro les pays participants ont fait preuve de vertu dans la convergence de leurs politiques, il n’en est plus de même aujourd’hui. On peut même dire que l’euro est devenu le parapluie qui protége les mauvaises politiques économiques des tempêtes financières. Assurément les politiques menées en France et en Allemagne ces dernières années auraient depuis longtemps été sanctionnées et corrigées par les marchés financiers (hausse des taux d’intérêt et dévaluation) si on en était resté au Franc et au Deutschemark.
Comme l’a souligné le rapport Camdessus, nous avons besoin d’une thérapie de choc. Il nous faut une politique agressive de libération de l’économie qui, seule, nous permettra d’atteindre un niveau de croissance forte et même d’hyper croissance nécessaire pour nous sortir du piège de l’endettement public, du chômage persistant et faire face sans drame à nos échéances sociales. L’Europe pourrait nous y aider car assurément elle a été jusqu’à présent un formidable levier pour forcer la France à engager les réformes libérales qu’elle est incapable de promouvoir d’elle-même.
Hélas, nous persistons à faire un mauvais usage de l’Europe : au lieu d’en faire le levier des réformes en France, on en fait le bouc émissaire de notre impuissance publique.
En refusant lors de la campagne du référendum de faire une pédagogie de la modernité libérale et des changements nécessaires, en faisant une attaque en règle contre une Europe trop libérale et en faisant écho aux thèses les plus radicales des écologistes, des antimondialistes, en épousant les rhétoriques les plus à gauche sur les délocalisations, le dumping social, le dumping fiscal ou le dumping écologique, on ne pouvait que saper les bases des réformes nécessaires.
Mais comme nous l’avons souvent souligné dans cette lettre si l’on a une rigidité monétaire, il nous faut une très grande souplesse économique. Si l’on veut maintenir les rigidités de nos vieux États providence, il nous faut une souplesse monétaire.
Résultat : la zone euro se compose aujourd’hui d’un étonnant cocktail de politiques divergentes, croissance, inflation, maîtrise des dépenses publiques. Une telle situation ne peut déboucher que sur une crise financière et politique. Et l’on peut même penser qu’une telle crise est nécessaire pour dessiller les yeux des politiques et réveiller leurs ardeurs réformatrices ».
La faillite, nous voilà !
Le piège de la dette se referme sur la France. Et il sera bien difficile d’en sortir
Alain Madelin, La lettre des Cercles Libéraux, 2 décembre 2005
« La politique économique engagée en 1995 dans la perspective notamment de la mise en place de l’euro a permis la réduction progressive des déficits à 5,4 puis 3% du PIB (ce qui a fait baisser les taux d’intérêts, relancer l’investissement, la croissance et l’emploi au bénéfice du gouvernement socialiste après la dissolution de 1997).
Seulement une fois l’euro mis en place, la France, à l’abri des sanctions des marchés financiers sur sa monnaie, a repris sa fuite en avant dans l’endettement. Il est sûr que les politiques menées par les gouvernements depuis 2002 auraient été sanctionnées depuis longtemps par les marchés financiers si le FRANC était encore en vigueur. Pour éviter qu’un État puisse s’abriter derrière l’euro pour mener une mauvaise politique, la création de la monnaie européenne avait été accompagnée d’un Pacte de Stabilité fixant un plafond de 3% PIB et 60% de PIB pour la dette.
Si la France, hélas suivie par bien d’autres pays, entend s’affranchir de ces contraintes, celles-ci n’en restent pas moins de bon sens ; elles visent à éviter aux États de s’engager dans le piège d’une dette insoutenable pour garantir la stabilité du ratio de dette publique par rapport au PIB dans une perspective de croissance de 3% et d’une inflation à 2%. Car ce qui compte, ce n’est pas tant la dette que la capacité à rembourser la dette (le tableau ci-joint montre mieux que de longues démonstrations pourquoi la dette US est soutenable et pourquoi la dette française ne l’est pas).
Aujourd’hui donc, la cause est entendue, la dette française est insoutenable. Les deux issues de secours jusqu’à présent empruntées pour faire face à une telle situation – la dévaluation et l’inflation – sont aujourd’hui condamnées. Le moment de vérité approche ».
La BCE a commencé à transformer l’euro en drachme
Alain Madelin, La Tribune, 7 mai 2010
Lorsque les États membres d’une monnaie unique sont aussi divergents, sa viabilité exige deux conditions, selon l’auteur : une discipline commune minimale, et une flexibilité des salaires et des prix pour compenser l’impossible variation des changes. Ce sont les défaillances politiques de l’Europe qui ont conduit à la nécessité d’un ajustement brutal en Grèce. Et aujourd’hui, la BCE à se montrer moins orthodoxe pour sauver l’euro.
Si la crise grecque prend cette ampleur, c’est qu’elle est à la fois révélatrice d’une crise de l’euro et des risques du surendettement des États. Sans l’euro, une Grèce surendettée dans sa monnaie trouverait une porte de sortie dans la dévaluation. En jouant les pompiers, l’Europe et le FMI permettent à la Grèce de placer sa dette. Reste la question « pourra-t-elle rembourser ? ». Et cette question dépasse les frontières de la Grèce. Si certains ont pu croire que la crise annonçait le retour des États pour discipliner les marchés irresponsables, nous assistons aujourd’hui au grand retour des marchés financiers qui viennent rappeler à l’ordre des États irresponsables !
La faiblesse congénitale de l’euro tient dans l’application d’une politique monétaire unique des pays fortement hétérogènes : dans leur culture économique, la structure de leur économie, leur démographie, leur sensibilité aux chocs externes, leur tolérance à l’inflation, leur productivité, etc.
De telles différences n’empêchent pas l’usage d’une même monnaie. Après tout, l’or a servi de monnaie commune à des pays encore plus différents. Mais faute d’une mobilité du travail au sein d’un même espace et d’un super État pour assurer la solidarité financière (à l’instar des transferts financiers massifs liés à la réunification allemande autour d’une même monnaie), la viabilité de l’euro exige deux conditions.
Primo, que chacun de ses membres respecte une discipline commune minimale pour que la dette reste soutenable. C’est précisément ce que les fameux critères de Maastricht ont voulu imposer : dans certaines conditions de dettes, de croissance et d’inflation, 3 % de déficit est la limite au-delà de laquelle les États sont contraints d’emprunter pour rembourser les intérêts sur leurs emprunts précédents. Un système à la Madoff, en somme !
Secundo, une très grande flexibilité des salaires et des prix pour permettre, dès lors que la variation des taux de change ne joue plus, l’ajustement des différences par une variation des prix relatifs.
Or l’Europe politique a failli sur ces deux points. De grands pays comme l’Allemagne et la France ont donné l’exemple de l’indiscipline budgétaire. Les réformes prévues par l’agenda de Lisbonne pour assouplir et moderniser nos économies sont restées lettre morte.
Coupables aussi les marchés financiers et les agences de notation qui, depuis belle lurette, auraient dû barrer la route au surendettement par des exigences de taux d’intérêt plus élevés ou par une révision de leur notation. Résultat, une exigence d’ajustement brutale. Faute de baisser les prix par une dévaluation, il faut mener une politique de déflation pour baisser les salaires, les prestations sociales et l’ensemble des prix, y compris ceux des actifs.
Avec le risque de voir une telle politique étouffer toute croissance et toute perspective de sortie de crise. Avec le risque aussi, comme le montre l’histoire, de voir de telles politiques déflationnistes se retourner contre la démocratie.
On comprend que la restructuration de la dette grecque apparaisse aux yeux de beaucoup comme inéluctable. Et que dès lors, ces perspectives de décote affectent nombre d’institutions financières. D’autant que le risque de contagion à d’autres pays menace, sans parler de la perspective angoissante d’un « bank run » grec, c’est-à-dire d’un retrait massif des dépôts bancaires qu’aucune garantie de l’État grec ne pourrait contrer.
Alors le mécanisme de l’euro est-il menacé d’imploser ? Non, car ce serait un échec si cuisant pour toutes les classes politiques européennes et pour la BCE que tout sera mis en oeuvre pour sauver l’euro. Faute de pouvoir transformer à bref délai les Grecs en Allemands, il restera toujours la possibilité de transformer l’euro en drachme ! Alors que Jean-Claude Trichet avait juré que jamais la Banque centrale européenne ne prendrait du mauvais papier en pension, la suspension des critères d’éligibilité des titres grecs acceptés en échange de crédits de la banque centrale, et peut-être bientôt l’achat direct de titres souverains par la BCE aux banques commerciales, montrent que la BCE est prête à accomoder son orthodoxie pour sauver l’euro.
—-
Sur le web