Djibril Tamsir Niane, intellectuel guinéen est parti à la source de la tradition orale auprès du griot Mamadou Kouyaté pour retranscrire et rendre universel l’épopée de Mari Djata, l’homme aux deux noms, fils du Lion et du Buffle. Le récit transmis par le griot raconte l’histoire de la naissance du futur roi du Manding, son enfance, son bannissement avec sa mère, ses frères et sœurs, ses pérégrinations dans les grandes cours royales de l’Afrique de l’Ouest du 13ème siècle et la reconquête de son royaume sous l’emprise du terrible Soumaoro, le roi sorcier de l’Empire Sosso.
C’est un texte intéressant, riche d’enseignement reprenant le discours du griot et plongeant le lecteur dans un univers fascinant dont on a finalement peu de traces. Le schéma est assez classique au niveau de la construction de Soungolo Djata dont les oracles ont annoncé le grand règne. Il forge sa personnalité à partir des adversités qui jonchent son parcours avec la ressource pour réagir et avoir le sens du dépassement de ceux pour qui la vie n’a pas été un long fleuve tranquille. En cela le parcours de Soundjata Keïta tel que raconté par la tradition orale ne présente pas une spécificité africaine.
Ce qui m’a interpelé, c’est la référence et la comparaison faite par la tradition orale avec Djoulou Kara Naïna, un autre très grand conquérant qui n’est autre qu’Alexandre le grand, roi de Macédoine. On sous-estime les échanges que l’Afrique noire a eus au Moyen-âge avec le monde moyen-oriental et occidental. Cela d’ailleurs allait à l’encontre des théories impérialistes et colonialistes de concevoir de telles interactions, durant cette période. Dans le cadre de la tradition orale que l’auteur guinéen retranscrit, l’expansion de Soundjata Keïta est à mettre en parallèle avec celle des plus grands conquérants de l’époque.
Un autre aspect non négligeable qui résulte des échanges entre l’auteur et le griot est ce regard méprisant que les tenants de la tradition orale malinké porte sur l’écrit. Elle explique également une forme de rétention car le griot, verbe du puissant, du monarque, du notable ne pas tout livrer. Certaines informations relèvent de la confidentialité, de cercles d’initiés. Tournure dont s’affranchit l’écrit.
Les griots connaissent l'histoire des rois et des royaumes, c'est pourquoi ils sont les meilleurs conseillers des rois. Tout grand roi veut avoir un chantre pour perpétuer sa mémoire, car c'est le griot qui sauve la mémoire des rois, les hommes ont la mémoire courte.(...) nous autres griots nous sommes dépositaires de la science du passé, mais qui connait l'histoire d'un pays peut lire dans son avenir.Page 78, Editions Présence Africaine
D'autres peuples se servent de l'écriture pour fixer le passé; mais cette invention a tué la mémoire chez eux; ils ne sentent plus le passé car l'écriture n'a pas la chaleur de la voix humaine.
Dans un souci de fidélité, j’imagine, Djibril Tamsir Niane ne développe pas certains points de la personnalité de Soundjata ou encore certaines situations. Cette approche pose un problème car elle contraint le lecteur observé ce texte plus comme un conte, voir un mythe que comme des faits réels à cause de nombreux raccourcis dans la narration. C’est néanmoins un livre à lire et à faire découvrir aux enfants comme un conte.
Bonne lecture.
Djibril Tamsir Niane, Soundjata ou l’épopée mandingue
Editions Présence africaine, première parution en 1960, 153 pages
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