C’est avec beaucoup d’émotion que j’ai décidé de vous faire part du décès aujourd’hui d’une personne chère à mon coeur, dont le courage n’avait d’égal que la générosité, dont la tolérance et la curiosité sur ce monde qui bouge si vite m’a toujours fasciné, et dont la patience aurait pu désarçonner le plus sage des moines tibétains.
Elle pourrait être l’héroïne d’une saga aux multiples rebondissements qui aurait pris ses racines dans l’Espagne de l’avant guerre où elle serait arrivée dans notre beau pays sans connaitre un mot de français. Elle aurait été une fille de parents divorcés dont le père qu’elle chérissait plus que tout allait lui manquer viscéralement. Elle serait devenue coiffeuse, travaillant très dur pour aider sa mère et son frère à survivre aux heures sombres de notre histoire. Puis elle aurait rencontré une jeune homme fringuant et pétillant, elle aurait tout de suite pensé qu’il était trop beau pour elle. Ils auraient décidé de se marier juste avant qu’il ne soit appelé dans un chantier de jeunesse qu’il aurait fini par déserter. Elle aurait été surveillée par la police de Vichy, employant milles et uns stratagèmes pour retrouver son bien aimé dans le maquis au péril de sa vie. A la fin de la guerre ils auraient vécu dans une mansarde à cohabiter avec des rats. La peur des rats allait d’ailleurs lui rester jusqu’à la fin de sa vie. Elle aurait eu quatre enfants dont des jumelles, se serait dévouée corps et âme pour eux tout en étant la grande gestionnaire de l’affaire de son mari électricien, comme s’était souvent le cas pour les femmes d’artisans à l’époque. La vie aurait suivi son cours, sereinement, elle serait devenue grand-mère et aurait tricoté des kilomètres de pulls, d’écharpes, de bonnets et de vestes pour n’importe quel enfant sans faire de différence quant à leur origine.
Puis un jour l’homme de sa vie allait être terrassé d’une crise cardiaque et le sol se déroberait sous ses pieds. Cet homme si robuste qui était le pilier de sa vie. A partir de ce jour la même idée ne ferait que trotter dans sa tête, elle compterait les jours jusqu’à ce qu’elle puisse le rejoindre, et Dieu sait qu’elle trouverait le temps long. Ce fut ensuite sa fille aînée qui succomberait à un cancer fulgurant, et elle n’arriverait pas à concevoir comment les parents doivent parfois survivre à leur propres enfants.
Mais sa vie serait aussi jonchée de rencontres et de découvertes, toutes plus étonnantes les unes que les autres car elle aurait été depuis toujours ouverte sur le monde qui l’entourait, et ne voudrait pas en perdre une miette. Elle se demanderait quel genre de musique écoutaient ses petits enfants, quel genre de film ils allaient voir, quelle émission de radio ils suivaient, qu’est ce qui pouvait faire que l’on puisse préférer une fille d’un garçon. Toutes ces questions qu’elle n’aurait pas envisagé pour elle, elle voudrait les apprendre des nouvelles générations. Quitte parfois à poser des questions dérangeantes, ou un peu osée, elle serait allée droit au but.
Elle aurait aimé chaque être vivant sur cette terre, car elle serait persuadée qu’il y aurait une part de bonté dans chacun d’eux.
Cette personne c’est ma grand-mère, elle est née un 25 décembre et elle est la pionnière des super héroïnes.