Salut mon vieux,
tu te demandes peut-être ce que je fous en ce moment, pourquoi je ne te donne pas de nouvelles, où je suis parti, ce que tu as fait pour que je te délaisse etc. tu es casse-pieds mais je t'envoie quand même un petit mot. En un sens je suis parti bien loin, je lis Already Dead, de Johnson, et qu'il est complètement barré et que je suis obligé de vérifier toutes les deux pages que je n'ai pas de problème de vocabulaire : c'est bien d'un phoque qu'il parle là, non, c'est pas possible pourquoi un phoque, vérifie mon gars ça vaut mieux, à oui, c'est bien d'un phoque, il est mal le type je le sens pas. Pour sortir un texte potable de ma cervelle de falsificateur de merde faudrait que je m'entraîne un plus, que je travaille mon adresse parce qu'en ce moment j'arrive pas à en mettre un. Et oui, je fais toujours ce boulot, que veux-tu, je falsifie, j'écris toute la journée, des pages et des pages, je traduis j'aplatis, je taille, tout cela doit paraître correct, cohérent, même si à l'oreille c'est juste le bruit d'un crâne vide contre la balle du flingue que excuse-moi, ils m'agacent quelque peu, mais tu vois du coup peut-être que ça joue, que je n'ai pas envie de m'assommer à falsifier les pauvres livres qui ne m'ont rien demandé. Non, plus sérieusement, la vérité c'est que je n'ai pas le temps d'écrire puisque je vis dehors depuis quelques jours, il fait beau j'en profite, je suis le premier personne n'aura mon exemplaire, il ne faut prendre aucun risque, il ne sera quand même pas à court dès le premier jour, on ne sait jamais. Le libraire me connaît pourtant, je ne sais pas, il a l'air surpris, voire embarrassé que je plante la tente (c'est une image, en fait j'ai pris le matelas de plage d'une amie du quartier) devant sa boutique. De quoi a-t-il peur, que j'effraie les petites vieilles qui n'ont que ça à foutre que bouquiner pour passer le temps? Et alors? Il ne me comprends pas, il s'inquiète, pour ma santé, ce n'est quand même pas moi le personnage de Johnson, on n'a jamais vu un lecteur se transformer soudainement en un personnage de roman, preuve que je suis sain d'esprit, je lui ai bien sûr dit pourquoi j'étais là mais non pour lui, le marchand, la littérature ce n'est pas comme pour nous autres, le vide dans lequel on se perd, alors salut et surtout porte-toi bien, promis je te passe un coup de fil pour qu'on aille se biturer, plutôt vers chez moi si ça te dérange pas. A+