Elle est belle, cette photo, oui, très. On vous dirait tous les deux sortis d'un film d'Eustache ou de Truffaut, période Nouvelle Vague. Vous vous en foutez de mon avis et vous avez raison. Je suis là, à voir ça de loin, des profondeurs à vous obscures de mon passé. Je vous vois, et c'est le bonheur qui m'envahit, instantanément. J'ai 14 ans, j'écoute Deep Purple sur ma platine, avachi sur mon lit parmi mes livres scolaires. L'avenir n'existe même pas. Il se dilue dans ce demain qui m'offre mille choses à faire : boire une bière, un café, regarder l'instant, aimer les jolies filles qui passent, en secret, jouer et jouer encore. La vie n'est qu'un jeu, pas encore un enjeu, des balles qui rebondissent partout sur tous les murs. Et vous deux, là, amoureux, côte à côte à cette table de café, insouciants, inconscients du monde, uniques. L'ancre de vos yeux, pas au meilleur jour, dis-tu, sinon l'attachement à cet instant, comme accostés. Arrimés l'un l'autre dans la douce clarté d'un soir d'automne, sans nuages, hommage collatéral au monde. Ma jeunesse est tout à la fois lovée entre vous deux et exilée dans la pure distance de mon regard. Aimez-vous. Aimez vous aussi fort que la beauté rayonnante de cette photo. Pure morning of life. L'instant éternel ne s'attrape pas, il se capte comme on hume une odeur aux autres indécelables embaumant un passé à jamais recréé, ressourcé. Par vous deux. Grâce à vous deux. Merci.