De livre en livre, Serge Doubrovsky poursuit son "autofiction" : ce n'est ni une autobiographie – construite, chronologiquement reconstituée en un récit linéaire – ni une fiction ; ni tout à fait non plus des fragments, comme les Essais de Montaigne...
Le texte commence à New York : Serge, ou Julien (le prénom que lui donnent ses proches), professeur d'Université qui vient de prendre sa retraite, doit quitter son superbe appartement au 13ème étage d'une tour de Manhattan, où il est resté vingt-huit longues années. Et il doit faire un tri, car il ne peut bien entendu tout ramener en France. Alors, au fil des cartons qu'il ouvre, des documents qu'il redécouvre, se dessine toute une vie.
Doubrovsky ici nous parle surtout de sa vie sentimentale, des femmes qu'il a aimées, qui l'ont quitté ou que lui-même a quittées : Claudia, la première, la mère de ses deux filles, puis Rachel qui lui imposa de quitter la seule maison qu'il posséda jamais, et le plaqua lorsqu'elle l'eut enfin obtenu, Ilse l'Autrichienne, morte d'une overdose de vodka, "Elle", qui voulut rester anonyme et se détruisit aussi par l'alcool – "j'ai tué une femme par livre", avoue Serge Doubrovsky ! – Elisabeth 1ère, plus difficile à situer chronologiquement, jeune étudiante en médecine tchèque, et enfin la dernière, celle qui l'accompagne dans son grand âge, celle qui diffère de toutes les autres, une belle brune Arménienne, alors qu'il n'avait guère jusque là aimé que des blondes, et avec qui il vit un "mariage à mi-temps".
Si l'on aime l'écriture de soi, qu'il s'agisse d'autobiographie, d'autofiction ou de correspondances, c'est pour entrer dans l'intimité d'un auteur, partager sa vie la plus personnelle, comme un autre soi-même ; le fréquenter un temps comme un ami très proche. A cet égard, les quelques 475 pages d'Un Homme de passage comblent le lecteur. Doubrovsky nous y décrit sans pudeur (mais sans exhibitionnisme non plus) les effets du temps sur sa sexualité, son incapacité désormais à honorer la femme qu'il aime, malgré les béquilles chimiques désormais inopérantes (mais il a passé 80 ans !) et le désir toujours intact...
Et l'écriture, cette tentative de créer une langue propre à l'autofiction, une syntaxe brisée, un rythme particulier ? Hé bien... Dans Un Homme de passage, Doubrovsky alterne cette écriture très formelle avec des chapitres beaucoup plus simples ; l'effet, du coup, apparaît parfois un peu artificiel. Défaut véniel, qui ne m'a pas empêchée d'aimer le livre...