Le changement profond des voitures sans conducteurs
La fin de l’année approche, et la fête de Noël est une excellente opportunité pour se laisser rêver. C’est pourquoi je vous propose un petit billet de science-fiction pas mal « science » et de moins en moins « fiction », sur la nature particulièrement disruptive des voitures sans conducteurs…
Afin de situer le contexte, rappelons tout d’abord que les voitures sans conducteurs ne sont plus, de fait, de la science fiction : le prototype existe déjà, et a été popularisé par Google qui en est à l’origine. La combinaison de lidar (des rayons de lumière utilisé pour, notamment, mesurer des distances), de l’intelligence artificielle, de Google Maps et d’un paquet de senseurs divers et variés sur le véhicule permet ainsi à la voiture d’aller d’un point de départ à un point d’arrivée, sélectionné par le conducteur, sans écraser de piétons, sans rentrer en collision avec les autres véhicules ou le décor et sans se perdre.
La technologie existe donc bel et bien. Evidemment, on est encore à quelques années de tests rudes et pointus, et l’acceptation de cette innovation dans la vie de tous les jours n’est évidemment pas encore faite. Mais il n’en reste pas moins que l’ensemble est extrêmement prometteur, comme le démontre cette petite vidéo (issue de TED) :
Mais au-delà de l’aspect gadget et agréable de pouvoir se faire trimbaler par un véhicule sans avoir besoin de regarder la route, il semble assez clair que l’introduction des voitures auto-pilotées, dans un proche avenir, est techniquement possible, mais aussi, comme on va le voir, très souhaitable.
Je passe sur l’aspect évident qui semble acquis : à mesure que les algorithmes de pilotage et les sécurités qui entoureront les voitures seront de plus en plus perfectionnées, les voitures auto-pilotées seront évidemment bien plus sûres que leurs versions actuelles ; finis les accidents causés par des conducteurs imprudents, bourrés, inattentifs ou simplement endormis.
Ce changement à lui seul justifie réellement l’introduction de cette technologie. Cependant, les bienfaits ne s’arrêtent pas là.
En effet, actuellement, une voiture passe plus de 90% de son temps … à l’arrêt, se contentant de rouiller lentement sur sa place de parking ou dans son garage. Si l’on compare à d’autres moyens de transports comme les trains ou les avions, force est de constater que l’usage qui est fait des véhicules personnels est très sous-optimal.
Ainsi, une fois que la voiture vous a emmené du point A au point B, si vous n’en avez plus besoin, le véhicule peut en revanche servir au reste des membres de votre famille (y compris ceux qui n’ont pas le permis). Une fois arrivé au travail, on peut imaginer que votre voiture peut rentrer seule et remplir une autre mission de transport pour vos enfants (les amener à l’école, par exemple).
L’économie est alors évidente : là où une famille a souvent besoin de deux voitures qui seront réparties sur les deux adultes, une seule voiture devient suffisante pour faire les mêmes tâches. Et à terme, on peut même envisager qu’un immeuble d’une demi-douzaine de familles disposera de son pool de trois ou quatre voitures, réparties en fonction des besoins, le prix d’usage de ces véhicules étant par exemple compris dans les charges du loyer.
Notons que la technologie « auto-pilotée » n’est pas invasive et s’introduit bien dans le flot des voitures actuelles, et que les consommateurs de transport et les familles en général trouveront certainement d’autres idées encore plus inventives.
Mais au final, l’idée générale qui consistera à avoir des voitures plus longtemps en opération et moins souvent à l’arrêt, en train d’attendre sa prochaine utilisation, permet de trouver une autre conséquence : l’espace pris par ces voitures lorsqu’elles attendent, notamment en ville, va naturellement diminuer. Les parkings municipaux et autres parcmètres vont sinon disparaître, tout au moins rétrécir.
L’actuelle bataille que se livrent les différents modes de transports au cœur des cités risque bel et bien de tourner à l’avantage de la voiture individuelle, mais dans un mode de consommation complètement différent de celui qu’on connaît actuellement. Il n’est pas exclu que Delanöe et ses Zotolibs n’en prennent ombrage. En effet, puisqu’on aura à faire à des voitures qui s’adapteront assez bien à leur environnement, de façon plus rationnelle que les conducteurs humains traditionnels, et puisqu’il sera même probable que ces voitures seront connectées en permanence à internet, il est aussi fort probable que la gestion des flux de circulation n’aura plus rien à voir avec celle qu’on connaît actuellement : des voitures qui décident, de concert, de la bonne vitesse de croisière, du trajet optimal à emprunter et des alternatives de déroutement en cas de travaux ou d’imprévus, qui se préviennent les unes les autres des péripéties de trajet, … c’est la mort des bouchons (ou, à tout le moins, d’une très grande majorité d’entre eux).
Dès lors, entre la circulation rendue notoirement plus fluide et la baisse de consommation, les appels de pieds appuyés des autorités à l’emploi des transports en commun risque de virer aigres. On peut s’attendre à des grincements de dents d’indécisions des écolos qui ne voudront pas voir revenir les automobiles terriblement individuelles et qui pourtant consommeront de moins en moins dans un environnement de plus en plus fluide… L’horreur.
D’autre part, on peut tout de suite comprendre qu’une augmentation aussi importante du taux d’utilisation des voitures va naturellement provoquer une baisse sensible des ventes correspondantes. Même en tenant compte que les voitures en question vieilliront plus vite, la quantité totale de roulement (le stock en cours d’usage) s’établira plus bas. Nul doute que les constructeurs devront en conséquence produire beaucoup moins de voitures.
Et là, on imagine sans mal que ce raisonnement sera aussi tenu par les constructeurs automobiles.
Si l’on en juge par la façon dont les industries de l’image et de la musique se sont battues et à quel point elles ont lobbyisé les politiciens lors de l’introduction du numérique, on peut être sûr que les industries automobiles déclencheront une véritable guerre contre les voitures auto-pilotées.
Et au final, seuls les constructeurs qui auront su s’adapter survivront.
Une question mérite alors d’être posée : quelle stratégie choisiront les constructeurs français, d’après vous ?
—-
Pour l’élaboration de ce billet, je tiens à remercier Rubin Sfadj qui m’a relayé le très intéressant billet de Koushik Dutta sur ce sujet.
—-
Sur le web