C’est ce qu’on entend dans l’extrait de Soigne ta droite (JLG 1987) avec les Rita Mitsouko (cf post d’en dessous), impromptue vignette filmé d’un couple de musiciens au travail.
« Mais combien, ô combien de chamailleries pour, non pas juste un raccord, mais un raccord juste ? »
C’est juste ce que montre Où gît votre sourire enfoui (Pedro Costa 2001), intense portrait filmé d’un couple de cinéastes au travail. (un extrait là).
Entre « les Straub » et « les Rita », deux couples artistes partageant plus d’un point commun : longévité, inventivité et surtout inflexibilité, indépendance et fidélité à leur propre jeunesse d’esprit. Il n’y a pas beaucoup d’autres artistes dont les « premières » et les « dernières » œuvres témoignent d’une même constance. Et l’impression que quand ils passent devant la caméra en acceptant de lever un coin du voile sur la fabrication ici d’une chanson, là d’un film, c’est une part du secret de leur alchimie intime et créatrice qui est capturée.
Deux couples faits d’alliances de contraires :
Chichin, mutique éthéré dégingandé & Ringer vocaliste expressionniste
Straub, théoricien bougon et éruptif & Huillet méthodique artisane du montage.
Chichin, la musique & Ringer, les paroles.
Straub, la voix & Huillet, le rythme.
Mais bon, un peu bête de distinguer comme ça car assez vite, ça se mélange, ça s’échange pour faire un tout indissociable.
Alliances intimes faites d’oppositions de caractères, de frottements de tempéraments, éléments hautement consubstantiels à l’acte créatif. Maintenant que ces deux couples ont été séparés par la mort, on pense encore plus à eux, tout en ne doutant pas que leur histoire continuera. On ne sait pas trop comment, mais étant donné la personnalité de Straub et de Ringer, elle ne peut pas s’arrêter là. Peut-être que "les histoires d'amour finissent mal en général", mais les leurs d'amour et de création ont largement de quoi les remplir de fierté.
Pour en revenir aux Rita, tout de même assez saisissant de penser qu’une caméra a été là pour enregistrer les tous premiers accords de leur immortel hymne : « les histoires d’A… ». Me rappelle aussi le court documentaire sur Gainsbourg et la création d’ Initials BB (visible ici et là en deux parties tournées entre janvier et juin 68 avec comme par hasard, une singulière ellipse sur ce joli mai qui paraît-il fit pas mal flipper le Serge).
Et pour en revenir aux Straub, énormément à dire sur ce documentaire, séance de montage et d’ (auto)-démontage de leur propre cinéma. Fabrication du film comme un sortilège : plongée dans le noir de la salle de montage, deux silhouettes, une assise, une faisant les cent pas et leur parole à attraper au vol, aussi volatil mais précieuse et marquante que les mélodies des Rita. Théorie et pratique : vivacités des échanges oraux appliqués immédiatement à la table de montage. Chaque collure à l’appui de ce qui vient d’être dit. Plagiant fièrement Godard, je commençais ma note en disant qu’ils sont en quête non pas de juste un raccord, mais d’un raccord juste. C’est là où Straub me reprend, faisant un sort au terme « raccord ». S’il est à prendre dans le sens de « suture, soudure, arrangement, rattrapage », c’est vraiment la pire tromperie du cinéma, alors que le vrai passage d’un plan à un autre, d’un plan d’ensemble à un plan serré, ça doit être ça :
… une superposition invisible, une continuité d’axe et de perspective… mais surtout de regard, une continuité appuyée par la scansion des mots, une rectitude dans l’œil qui, par ailleurs, affûte l’audition. Le cinéma des Straub, c’est exactement ça : donner à l’esprit une matérialité sensorielle, une clarté aiguisée du regard alliée à la présence matérielle donnée à chaque mot.