CJUE, 21 déc. 2011, NS, C-411/10.
Dans une affaire sur l'application du "Règlement de Dublin II" (sur les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des États membres par un ressortissant d'un pays tiers), la Cour était notamment appelée à se prononcer sur l'application de la Charte des droits fondamentaux au Royaume-Uni.
En effet, dans un protocole annexé au traité, il est (notamment) prévu "que la charte n’étend pas la faculté de la Cour, ou de toute juridiction de la République de Pologne ou du Royaume-Uni, d’estimer que les lois, règlements ou dispositions, pratiques ou action administratives de la République de Pologne ou du Royaume-Uni sont incompatibles avec les droits, les libertés et les principes fondamentaux qu’elle réaffirme".
La Cour considère, comme son avocat général, que cet article du protocole "explicite l’article 51 de la charte, relatif au champ d’application de cette dernière, et n’a pas pour objet d’exonérer la République de Pologne et le Royaume-Uni de l’obligation de respecter les dispositions de la charte, ni d’empêcher une juridiction de l’un de ces États membres de veiller au respect de ces dispositions".
Toutefois, il faut noter que l'affaire en cause ne concernait pas un droit fondamental contenu dans la Titre IV de la Charte. Or, s'agissant de ces droits, le protocole prévoit que "rien dans le titre IV de la Charte ne crée des droits justiciables applicables à la Pologne ou au Royaume-Uni, sauf dans la mesure où la Pologne ou le Royaume-Uni a prévu de tels droits dans sa législation nationale". La portée de cette réserve demeure à expliciter.
S'agissant de l'affaire en cause, sa portée est considérable. en effet, la Cour considère, en s'appuyant notamment sur les droits garantis par la charte et par la CEDH lu en relation avec les objectifs de la réglementation en cause, "qu'il incombe aux États membres, en ce compris les juridictions nationales, de ne pas transférer un demandeur d’asile vers l’«État membre responsable» au sens du règlement n° 343/2003 lorsqu’ils ne peuvent ignorer que les défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans cet État membre constituent des motifs sérieux et avérés de croire que le demandeur courra un risque réel d’être soumis à des traitements inhumains ou dégradants au sens de cette disposition" (en l'occurrence en Grèce qui est le point d'entrée de 90% des immigrants illégaux).
Une simple crainte de violation des droits fondamentaux n'est donc pas suffisante. Mais une faille "systémique" oblige un Etat à ne pas appliquer le critère de première entrée dans la détermination du pays responsable de la demande d'asile. Ce faisant la Cour impose, par une décision de justice, une réforme du règlement qui était par ailleurs demandée par la Commission européenne (qui souhaitait, au vu de la situation grecque, suspendre l'application du règlement dublin II et revoir le critère de la "première entrée" qui fait reposer sur l'état de première entrée du migrant illégal l'analyse de sa demande d'asile) mais refusée par les Etats.
S'agissant de l'existence d'une faille systémique, la Cour note que les arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme (dont font parties tous les Etats membres de l'UE) ainsi que les informations transmises par la Commission au Conseil de l'UE dans le cadre de la proposition de modifications du règlement Dublin II, sont des éléments qui permettent d'établir l'existence une telle faille. Les Etats membres ne peuvent pas prétendre qu'ils ne disposaient pas des outils nécessaires leur permettant d'être au courant de la situation grecque (bref, ils sont de mauvaise foi).
Un arrêt qui fera date!