Titre : Les Aveugles
L'auteur : F'murrr
l'Editeur : Casterman
La date : 1992
La page/la case : case 1, p. 1
Le contexte :
En Février 1990 un drôle de personnage fait son apparition dans les pages de la revue A suivre. Il s'agit du Pauvre chevalier. Sur deux numéros du célèbre bonus encarté "Comics A suivre" d'alors : "Epopée désastreuse " et " Apothéose équivoque", Fmurrr va nous conter les aventures moyen-âgeuses de ce chevalier qui a eu la malchance d'être invité (par erreur) à la table du Roi Arthus et de surprendre la reine Guenièvre en facheuse posture avec sire Lancelot.
Là dessus, le pauvre chevalier se voit maudit, condamné à perdre tout ses biens, sauf son cheval (qui pleure tout le temps), et à errer sur les routes, à la risée et aux mauvais traitements de chacun.
Bref, au niveau dessin, moults détails abracadabrants parsèment les cases.
Les dialogues quant à eux sont sont irrévérencieux et d'un humour vache à faire pleurer (de rire), et les situations non sensiques, quoi que suivant une logique implacable.
Il s'agit en fait d'une sorte de tragédie Grecque, avec les choeurs récitant régulièrement, sous la forme de petites bêtes sans importance, apparaissant en bas de page et commentant les scénettes. Mais tout cela est si inopportun, que l'on croirait y voir de l'improvisation.
Fmurrr nous entraine ainsi dans son univers décalé, déjà bien perçu dans sa série phare "Les Alpages", en y introduisant une touche historique et poétique d'un autre temps (celui de Villon ou des dames galantes), tout à fait émouvant.
L'aspect dramatique est donc bien présent, et à l'issu du second chapitre, le chevalier niais, atteint à la tête, tel un Foudre béni chez Hergé, s'envole comme un ballon, avant d'être pris pour un oiseau et cloué sur place par une flèche en pleine tête.
Fin de l'acte 1.
Acte 2 : Les aveugles et le chevalier Licorne.
Or donc, au début de ce troisième et avant-dernier acte, qui feront une fois reliés l'objet d'un album intitulé "les Aveugles", nous suivont la route d'une bande de six compères non voyants. L'entrée est abrupte, sans introduction, et se fait très intelligemment au travers d'une filiation culturelle précise : la parabole des aveugles de Brueghel l'ancien (1568).
Ces aveugles, dont l'un voit aussi bien que vous et moi, vont tomber sur la chaumière d'une gente dame : Nievenne, dame dont l'amour non réciproque envers Merlin l'amène à lui jeter un sort, l'enfermant à jamais sous une dalle, puis masquer son propre visage afin de ne jamais plus être désirée.
Mais la quête improbable du chevalier (à la flèche fendant son crane, d'où le nom de "Licorne") est justement de délivrer Merlin de son enchantement... (!! ?...)
Une question subsiste : Comment un tel scénario et un tel style aussi originaux peuvent-ils avoir été réalisé par un seul homme ?
Il faut dire qu'ls sont rares, les auteurs/dessinateurs à avoir pu et su nous emporter aussi loin dans leurs univers mentaux si personnels et si difficilement transposables.
On serait tenté de rapprocher cet humour de celui communément appelé "anglais", et un Peter Greenaway ferait justement un excellent réalisateur pour une adaptation cinématographique d'une oeuvre telle.
En bande dessinée, on pensera bien sûr à Jean Claude Forest, qui a de plus "touché" au Moyen-âge avec son "Renart" (cf précedente note sur ce blog), mais aussi à Francis Masse, dont les délires psychotiques aux décors insensés restent gravés dans les esprits de tous les lecteurs qui ont fait leur découverte.
... Fmurrr est un trés grand auteur et un fameux poète.. Cela valait bien un hommage.
- A lire : une interview trés intéressante de Fmurrr sur Le Briographe
* Robin des boites, dont la réédition de l'album Futuropolis est actuellement en rayon, dans une version augmentée, chez Dargaud.
- Pour en savoir un peu plus sur l'oeuvre de Brueghel l'ancien :
http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Parabole_des_aveugles
© Images : Fmurrr/Casterman