Grève ou précarité: Sarkozy a l'indignation sélective.

Publié le 22 décembre 2011 par Juan
Il avait prévu de jouer au Père protecteur: choyer quelques médecins de campagne, se féliciter de l'augmentation pourtant tardive du SMIC et du bilan du RSA; et visiter un centre des Resto du Coeur. Le Figaro nous annonça même qu'il écrivait un livre-confession vérité.
Mais patatras. Une grève perturbait ce story-telling présidentielle, chaque jour dans les journaux radio-télévisés. Des familles entières voyaient leurs vacances menacées ou gâchées à cause d'annulation de vols. Du coup, son sang n'a fait qu'un tour. Nicolas Sarkozy a pris les choses en main.
Il a toujours l'indignation facile... et sélective. On ne l'a pas entendu sur le discret durcissement des conditions de saisie sur salaires contre les ménages surendettés; ou l'interdiction du camping sauvage et subi de précaires mal logés.
Faire bruit contre une grève
Cette grève des personnels de sécurité des aéroports, en pleine vacances scolaires, l'a mis en rage. Nicolas Sarkozy perd toujours facilement ses nerfs contre les grévistes. Il avait promis le service minimum dans les transports publics ! Il sait de surcroît que le sujet fera la une du journal télévisé de son ami Jean-Pierre Pernault, que ces images feront tâche en pleine campagne présidentielle. Et quelles images ! Des familles empêchées de partir en avion, des vacances au ski ou des retrouvailles familiales gâchées, le coup était dur.
Comme l'an dernier contre la neige, Nicolas Sarkozy s'est donc personnellement saisi du dossier. Lundi soir, une réunion s'est tenue en urgence mais en catimini à l'Elysée. Elle ne fut dévoilée qu'une trentaine d'heures plus tard grâce à quelques journalistes persévérants. Le Monarque exigea qu'on réquisitionne des policiers pour palier à l'absence des salariés grévistes: « Il n'est pas question d'ennuyer les Français qui partent en vacances, ils ont assez souffert pendant l'année » aurait-il déclaré.
Quelques ministres et proches furent priés de dénoncer la « prise d'otage » (NKM). Claude Guéant menaça de réquisitionner  300 policiers de la police aux frontières (PAF) et 100 militaires de la gendarmerie des transports aériens (GTA) si les grévistes ne reprenaient pas le travail. Mardi, un médiateur fut nommé par le gouvernement. Mercredi, constat d'échec. La ministre des transports était bien en peine: « Nous serons au rendez-vous pour que les départs en vacances se passent bien ». Le matin, Nicolas Sarkozy menaçait encore, par conseil des ministres interposés.Il a «demandé aux ministres d'être extrêmement attentifs à l'évolution de la situation et de prendre toutes les mesures nécessaires et opportunes compte tenu de cette évolution», a précisé sa porte-parole.
Mais l'argumentaire sarkozyen prenait mal: il ne s'agissait pas d'un transport public, mais de vols aériens; cette grève ne concernait pas les bénéficiaires d'un quelconque régime spécial protestant contre la suppression de leurs avantages acquis, mais des précaires du secteur privé. Ils assurent, certes, une mission quasi-régalienne (sécuriser l'accès au vols), mais cette activité est devenue bien lucrative depuis que l'Etat a progressivement privatisé depuis 10 ans le contrôle des passagers anciennement du ressort de la PAF.
C'est même la première fois qu'une grève aussi lourde concerne les agents de sûreté. Les revendications sont bien légitimes, ces salariés réclament une hausse de salaire, pour dépasser le SMIC. Mercredi soir, une représentante syndical se désolait encore: « Le patronat ne veut toujours pas discuter pour l'instant des salaires ». La grève fut reconduite pour jeudi.
Nicolas Sarkozy aurait pu s'indigner de la situation des personnels.
Il aurait pu. Mais il n'eut pas un mot.
Traquer les mal-logés
Voulaient-ils traquer les « gens du voyage » ? Pas seulement voire pas du tout. En avril dernier, quatre députés UMP avaient déposé un projet de loi relative aux habitats légers de loisirs et à l’hébergement de plein air. Ce texte fut voté à l'unanimité des maigres suffrages exprimés le 16 novembre dernier. Des associations de lutte contre l'exclusion ont levé le lièvre, et notre confrère Slovar a relayé l'affaire lundi dernier.
A lire les motifs exposés par son rapporteur, le député Jean-Louis Léonard, le 28 septembre, on comprenait que l'objectif était clair: virer des terrains de camping ces précaires de plus en plus nombreux contraints de camper faute de logement et/ou de moyens.
Officiellement, la loi complétait un texte de juillet 2009 sur la modernisation des services touristiques, afin de tenir comptes des « nouvelles pratiques ». Elle visait notamment à protéger les propriétaires de mobile-home contre d'éventuels abus des propriétaires de terrain, mais aussi, « point fondamental » précisait le député Léonard, à encadrer le camping résidentiel sauvage : « la pratique du camping ne concerne pas seulement des professionnels gestionnaires de terrains et des particuliers, mais s’inscrit également dans une problématique plus générale d’ordre public. C’est pourquoi des mesures d’accompagnement sont proposées afin de mieux pouvoir contrôler cette activité et éviter des dérives dommageables en matière d’urbanisme et de développement d’un habitat permanent plus ou moins informel.»
Et le député ajoutait : « Il n’est (...) pas acceptable que les terrains de camping servent de refuge à l’habitat précaire : ils doivent ainsi demeurer, hors les cas de circonstances exceptionnelles (relogement provisoire, etc.), à vocation exclusivement touristique. »  

La précarité de ces logements de fortune serait-elle plus acceptable ?
Ces funestes députés ont trouvé la parade: il suffira d'imposer aux campeurs de fournir un justificatif récent de domicile ... fixe. Allélouia ! Dans son article 1er, la loi impose désormais une justification de la domiciliation du locataire d’emplacement : « En cas de location dans un terrain de camping et caravanage ou un autre terrain aménagé à cet effet d’un emplacement, équipé ou non d’un hébergement, pour une durée supérieure à trois mois, le locataire fournit au loueur un justificatif de domicile de sa résidence principale datant de moins de trois mois. »
Saisir les salaires
Ce mercredi, la ministre Roselyne Bachelot s'est félicité du bilan du RSA qu'elle présentait à son collègues et à Nicolas Sarkozy en conseil des ministres. Le bilan est en fait lourd, et illustratif de la précarité du pays : 3,9 millions de personnes bénéficient du revenu de solidarité active (RSA) en métropole. Les deux tiers n'exercent aucune activité, et ne bénéficient donc que du RSA « socle » (soit 467 euros par mois pour une personne seule). L'autre tiers touche en moyenne 170 euros de plus par mois en raison de son activité partielle.
La ministre était ravie: « Selon les travaux du comité national d’évaluation, l’impact du RSA sur la pauvreté ne fait aucun doute : 150 000 personnes sont ainsi sorties de la pauvreté grâce à ce dispositif qui augmente, en moyenne, le revenu médian des foyers bénéficiaires de 18%.» En revanche, le taux de retour à l'emploi stagne au même niveau que celui de l'ex-RMI, à 33%, alors que le nombre de bénéficiaires a progressé. Pire, environ 40% des RMIstes n'ont aucun référent pour les suivre. Prudente, la ministre renvoie cette responsabilité aux conseils généraux.
Le niveau du RSA, inférieur de moitié au seuil de pauvreté, prendra une autre importance pour les familles surendettées dès l'année prochaine.
La réglementation prévoyait jusqu'à récemment la possibilité d'une saisie sur salaires par les créanciers sous réserve de laisser un minimum social (en l'occurrence le RSA, ajusté en fonction du nombre de personnes à charges). L'an prochain, cela ne sera plus le cas, la loi a changé le 13 décembre dernier. A compter du 1er janvier prochain, « la fraction insaisissable sera « fixe », peu importe le nombre de personnes composant le foyer du salarié, la fraction correspond au RSA pour une personne seule, soit 466,99 euros pour 2011 ».
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