La Cenerentola c’est le conte de Perrault mis en musique par l’inventeur du tournedos Rossini. A l’origine, le conte a deux morales : une , un peu nunuche du type "sois toi-même et ça ira" , la seconde, plus réaliste et efficace qui valait sous Louis XIV et plus que jamais aujourd’hui : pour réussir dans la vie (si l’on est pas « fils de » …) choisis tes parrains avec soin dans la jungle des courtisans : bonne fée, Alidoro philosophe des Lumières ou autre puissance surnaturelle en tout cas , un ange dans le genre gardien suffisamment protecteur pour donner un petit coup pouce à ton destin de déshérité…DansCenerentola ossia la Bonta in trionfoécrit en une nuit dit-on par un Jacopo Ferretti roi de la synthèse des productions des autres, c’est la bonté qui gagne, la Cenerentola pardonnant à ses deux sœurs qui ne le méritent vraiment pas . Hormis ce livret qui déborde un peu (surtout au dernier acte), tout est bon dans ce jambon-là : la mise en scène par induction gestuelle de Jean-Pierre Ponelle garde son efficacité des années de création (La Scala , 1973). Ce décorateur metteur en scène ou ce metteur en scène décorateur a su donner à la perspective l’efficacité d’un plan séquence d’Orson Welles. L’action s’y déploie avec une efficacité mécanique à la hauteur de l’horlogerie de précision requise par le compositeur italien. C’est beau, comme le dévoilement des caves du Prince . Dans ce contexte le directeur musical Bruno Campanella évolue comme un enfant dans le conte. Souple, fluide, féline, sa direction d’orchestre est éblouissante de gaité. Perle baroque, Karine Deshayes est une Angelina diabolique qui use jusque de ses imperfections pour donner un souffle peu commun au personnage. Résignée dans le « C’era un re » , indomptable pour le reste. Encadrée par deux sœurs au métier hallucinant (Anna Wall drôle et gutturale Tisbé et la suisse Anna Fisher en Clorinda actrice et …danseuse) toutes deux énergiques, infatigables rossiniennes …Quel plateau aussi côté hommes …Ricardo Novaro (Dandini) et Don Magnifico(Carlos Chausson) chanteurs expérimentés encadrent un Javier Camarena un peu vert comme comédien mais qui a le coffre d’un Juan Diego Florés (indépassable dans la version de l’œuvre donnée au liceu de Barcelone en 2008). Tout crépite, tout mitraille dans le texte quand nécessaire, les violons « savonnent » avec fermeté. Le sextuor de la Cenerentola fait du « questo nodo avvilupato » un grand moment de bonheur, tout en retenue et précision…Pour l’Opéra de Paris, c’est vraiment une très bonne surprise que cette reprise qui permet de retrouver un grand metteur en scène d’opéra, Jean-Pierre Ponelle dans une œuvre qui n’a pas pris une ride.
Autre Cenerentola sur la scène de Bastille cette fois, avec pantoufle de verre (et pas de vair) Cendrillon revisitée par un Rudolf Noureev inspiré qui trempa le conte dans le Hollywood des années Cécil B. de Mille, sur la musique déchirante dès l’ouverture, d’un Sergueï Prokofiev en sortie de guerre. Les étoiles se succèdent comme toujours dans la distribution. Ce soir, Agnès Letestu incarne l’héroïne malheureuse avec le sérieux de l’humilité résignée. Ludmila Pagliero et Mélanie Hurel sont ses deux bombes de sœurs. Turbulentes et infatigables enfants, elles ne tiennent pas en place. Une véritable prouesse physique. Stéphane Bullion est le prince acteur-vedette, plein de grâce détachée, de style de souplesse. Les mouvements de groupes sont réglés avec la fausse décontraction de Noureev, là encore précision et rigueur , ballet enjoué de producteurs, cameramen, assistants gouailleurs, divas, duègne travestie, de père absent ou alcolo, de marâtres insipides…tout cela est immense, enlevé , élégant.
Deux cendrillon donc, pour un Noël à l’Opéra. Deux reprises de choix. Rossini plus Noureev.
Un beau cadeau.
La Cenerentola à Garnier jusqu'au 17 décembre
Cendrillon de Noureev à Bastille jusqu'au 31 décembre