Le mercredi, c’est jour de sortie, et en ce 21 décembre 2011, la sortie évènement du jour, c’était Alvin et les Chipmunks 3. J’en frémissais d’impatience. Je comptais les jours depuis le moment où mes yeux s’étaient pour la première fois posés sur cette bande-annonce folle et hilarante dans laquelle les écureuils au timbre crispant échouaient sur une île déserte et entonnaient avec une classe folle « Bad Romance » de Lady Gaga. Chaque fois que je les apercevais chanter dans la bande-annonce, mon cœur battait la chamade et mes rires étaient incontrôlables. Voilà le film qui manquait à l’année 2011, enfin il arrivait.
Quand je vois que c’est Alvin et les Chipmunks 3 qui est – aisément – arrivé en tête des démarrages sur Parsi/Périphérie le jour de sa sortie, devançant La délicatesse et A Dangerous Method, je me dis qu’il y a des gens qui doivent réellement penser ce que j’ai écrit dans le premier paragraphe, aussi fou que cela puisse paraître. Personnellement, chaque vision de la bande-annonce me hérissait le poil et me faisait remuer la tête en un signe irrépressible de négation. A chaque fois, que j’entendais Alvin et ses copines entonner le fameux tube de Lady Gaga, et surtout que j’entendais les rires amusés fusant dans la salle, je perdais un peu plus espoir en l’humanité. Quand je pense que le film a fait presque autant d’entrées à la séance de 14h que L’ordre et la morale sur toute sa première journée à Paris…
Vous l’aurez compris, je ne suis pas allé voir Alvin et les Chipmunks 3 le jour de sa sortie (je n’irai aucun autre jour non plus, au passage…). En lieu et place, je suis allé voir Le Havre d’Aki Kaurismäki en compagnie d’un camarade cinéphile bordelais de passage à Paris, après des hésitations dues à nos projections respectives des jours derniers (« J’ai pas vu le Polanski », « Ah mais moi je l’ai vu, par contre j’ai pas vu le Cronenberg », « Ah bah celui-là c’est moi qui l’ai vu »). Le Havre a été le consensus satisfaisant les deux parties qui avaient peur qu’à la fin il faille se rabattre sur Alvin et les Chipmunks. Au pire on serait retourné voir Drive… On aurait dû retourner voir Drive.
Le Havre fait partie de ses films que je suis allé voir poussé par une critique unanime depuis le Festival de Cannes, où beaucoup s’étaient étonné de voir le film oublié par le jury au moment de décerner le Palmarès. Mercredi 21 décembre, les critiques étant tout aussi élogieuses pour saluer l’œuvre de Kaurismäki, le doute n’était pas permis, Le Havre était un des films immanquables de la semaine, si ce n’était pas tout simplement LE film immanquable de la semaine (aurais-je le temps à un moment d’aller revoir L’irlandais avec des sous-titres ?). Je me souviens encore de la projection pénible de L’homme sans passé, mais je me suis laissé convaincre, un peu comme Le gamin au vélo au printemps dernier, lorsque mon aversion pour le cinéma des Dardennes n’avait pas fait le poids face à la conscience cinéphile. Parfois, je ferais mieux de laisser cette bonne conscience en veilleuse et suivre mon instinct, Le Havre me l’a indubitablement rappelé.
La vérité c’est que la bande-annonce m’avait déjà un peu refroidi, mais que je ne me suis pas laissé décourager, pensant que celle-ci pouvait être mensongère. Pourtant j’aurais dû reconnaître certains signes dans celle-ci, notamment le jeu d’acteurs. Mon Dieu, le jeu d’acteurs du Havre. Kati Outinen qui campe la femme du héros, Marcel, homme d’âge mur et vivotant avec son épouse dans un taudis populaire du Havre lorsqu’il tombe sur un garçon clandestin se cachant de la police. Kati Outinen, comédienne finlandaise, muse du cinéaste, qui passe l’intégralité du film à tenter de sortir ses répliques en français de la manière la plus intelligible possible (de façon quasi phonétique la plupart du temps), au détriment de toute notion d’interprétation. André Wilms, dans une sorte d’emphase théâtrale dans son jeu qui confine au surréalisme (est-ce voulu ?), tout comme le jeune garçon. Seul Darrousin, plus premier degré que les autres, s’en tire honorablement.
Et que dire de la tentative (ratée) de Kaurismaki d’accoupler le cadre havrais contemporain avec une atmosphère désuète sortie des années 80 ayant la grise mine (dans l’ambiance) de ses films finlandais ? Si ce n’était le thème, le cadre politique, et les accessoires tels les téléphones portables, on se croirait à l’évidence au début des années 80. Cette stylisation ne prend pas, et couplée à la direction d’acteurs en roue libre, propulse le film dans les méandres de l’ennui, malgré une mise en scène et une direction artistique réussies. Certes le cinéaste finlandais tient son discours sur la place de l’émigré dans la société occidentale, et on lui en est gré, mais lorsque le discours est parasité par un non-sens cinématographique, il devient difficile de se prendre de passion. A l’évidence les critiques y sont parvenus, pas moi. Et j’ai préféré André Wilms, succinctement grandiose d’absurde, en allemand alcoolique dans Americano de Mathieu Demy. Il faut dire que ce film-là pouvait également compter, outre un récit teinté d’une douce mélancolie, sur la présence gracieuse et affolante de Salma Hayek en strip-teaseuse attachante. Peut-être si la Salma d’Americano avait fait un caméo dans Le Havre…