Le fabuleux destin du passeport pipométrique
Des chiffres totalement farfelus pour le ministère de l’Intérieur, qui s’y connaît en chiffres farfelus. C’est ainsi que la place Beauveau a qualifié le nombre de 500.000 à 1.000.000 de passeports biométriques infalsifiables falsifiés et en circulation. Pas de doute, le farfelu, ça nous connaît, en France…
Et tout commence par un article du Parisien qui nous révèle qu’une grosse quantité de passeports biométriques, réputés pourtant infalsifiables, seraient plus ou moins bidons et circuleraient sur le territoire (et au-delà) à la plus grande stupéfaction d’une administration française pourtant irréprochable et à la pointe du travail bien fait.
Quand je dis « Tout commence », c’est plutôt une figure de style puisque l’aventure chaotique de l’État Français dans le royaume magique du biométrique et du marquage au fer de ses citoyens n’est pas toute neuve. On se rappelle en effet des péripéties de l’actuel gouvernement dans ses tentatives relativement piteuses de marquer tous les moutontribuables du cheptel afin de garantir un troupeau docile et canalisé, notamment en passant par les cardidentitésiouplait pardon les cartes nationales d’identités, récemment biométriquées à la faveur, en janvier dernier, d’une nouvelle loi faisant un délit de l’usurpation d’identité.
On se rappellera la péripétie elle aussi récente de l’actuel passeport biométrique dont le fonctionnement avait été, purement et simplement, retoqué par le Conseil d’État : celui-ci avait en effet jugé que l’utilisation de huit empreintes digitales dans les données biométriques était disproportionné devant le but recherché (identifier de façon relativement sûre la personne porteuse du passeport). Normalement, ce mois de décembre devait marquer le début de l’effacement de millions d’empreintes prises en trop dans le processus de délivrance des fameux passeports. On pouffe modérément à l’idée des coûts que ce genre de cascades entraîne.
Et là, patatras.
On apprend qu’au pays des câlins où normalement, tout se passe bien du premier coup, ces passeports qui étaient infalsifiables … sont falsifiés. Ou, pour le dire plus exactement, qu’un petit million d’entre eux, parfaitement bidons, seraient en goguette dans le pays et au-delà.
Le Bisounours qui sommeille en chaque Français doit avoir le poil tout hérissé (et le numéro de série du Fisc sur la fesse droite qui le grattouille un peu) lorsqu’il apprend ce genre de mésaventures en s’imaginant ainsi des hordes de malfrats infiltrant le territoire avec leurs passeports douteux, faisant les pires détournements et les plus viles exactions dans un pays où, pourtant, l’insécurité ne devait être qu’un sentiment.
Mais lorsque le Bisounours, le poil tout hérissé, apprend qu’en réalité, le passeport le plus biométrique sûr du monde est … le plus facile à avoir, un léger énervement s’empare de lui. Comme le dit très bien le rapport commandé par Guaino, le conseiller du président Sarkozy :
« Le problème actuel se résume au fait que tout citoyen peut obtenir le titre d’identité et de voyage le plus sécurisé au monde à partir d’un des documents administratifs les moins sécurisés (…) : la copie d’acte de naissance. La création d’une nouvelle identité sur la base d’un extrait d’acte falsifié avec une simple photocopieuse est enfantine. »
Eh oui : on a mis la clef du trésor derrière une épaisse porte blindée, entourée de murs en carton-pâte, et l’administration s’étonne que les vilains et les méchants passent par le mur.
Évidemment, la place Beauveau minimise l’impact d’une telle révélation : « Mais non enfin, il n’y a pas autant de gens qui essaient, avec un certificat de naissance bidon fait en 5 minutes sous photoshop de se faire passer pour un vrai Français et obtenir un beau passeport biométrique à 8 empreintes au prix modique de 68€ ! Tout ça, ce sont des affabulations, voyons ! »
(Mais en parallèle, on va tout de même mettre en place un groupe de travail histoire de sécuriser à présent l’acte de naissance, là encore pour un prix modique d’environ 1.5 millions d’euros.)
Un petit résumé s’impose ici : l’introduction du passeport biométrique s’est donc soldé par une augmentation des données collectées sur le dos des citoyens honnêtes, une croissance consternante du prix du support, une coûteuse campagne de publicité pour en vanter les mérites, l’introduction d’un fichier constitutionnellement dangereux qui sent bon les heures les plus informatisées de notre Histoire, pour finir par un retoquage du Conseil d’État et la découverte que les sécurités mises en places ne valent pas tripette.
On pourrait presque croire que, pour en arriver à ça, il fallait une bonne histoire de lobbying derrière, ne trouvez-vous pas ?
Bingo, c’est effectivement le cas : tout porte à croire en effet que le GIXEL (groupement professionnel des industries de composants et de systèmes électroniques) aurait largement poussé à la roue de ces magnifiques innovations biométriques, roue déjà bien lancée par l’appétit naturel de la chose publique à vouloir faire des petites fiches numérotées de chaque animal du cheptel contribuable.
Et partant d’un lobbyisme, si l’on y ajoute la légendaire efficacité de l’État, on ne peut aboutir qu’au désastre chimiquement parfait du passeport pipométrique.
Le plus triste c’est qu’à présent, chaque ressortissant français aura, à chaque passage de frontière, un douanier goguenard à la pensée que le passeport qui lui est remis coûte très cher mais ne vaut rien.
Une parfaite illustration du Made In France, pour le coup…
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