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L’arrivée (Feuillets d’automne 4)

Par Montaigne0860

Je déploie tous mes efforts pour gravir le chemin goudronné, pas à pas, les jambes refusent de se projeter vers l’avant, mes mollets sont chargés de plomb et lorsque je parviens au sommet de la colline, la nuit sous un ciel sans lune laisse filtrer un rayon à peine visible, reflets du couchant qui m’accompagna si longtemps. A ma droite une masse cachée jusqu’alors par le monticule se découvre vaguement par les fenêtre éclairées. Je descends vers l’entrée que je devine quelque part au centre de l’édifice. Je trébuche en me moquant de moi-même, tapote à la porte avec mon index ; je découvre la sonnette après avoir frappé. Longue attente. Des pas. Une très jeune fille ouvre enfin, cheveux longs, doigt sur la bouche, elle a les oreilles enfermées sur un casque.

Elle m’introduit, murmure rapidement sans ôter le casque que je suis attendu, Marielle leur a téléphoné ; du fond de la salle principale une vieille femme paralysée s’approche en manœuvrant les roues du fauteuil à l’aide de ses bras ; elle me confie qu’il ne faut attendre aucun autre accueil et que ma chambre est prête. Je suggère que l’on pourrait me reconduire à la gare de Crécy, que ce serait plus simple pour tout le monde, je paierais évidemment ; elle objecte que personne ne consentira à me conduire : c’est la nuit, c’est trop loin. Le ton est cordial, légèrement embarrassé mais ferme. Ses cheveux coulent sur ses épaules, et son visage exempt de rides sourit : elle n’admet aucune contestation, je me laisse faire. Elle parle de mes beaux yeux et s’étonne de mon absence de bagage. Une aveugle qui me parle de mes yeux ! Oui, la lectrice lui en a parlé au téléphone ! Mes beaux yeux, tiens, tiens ! « Quant à vos bagages, monsieur, si vous en aviez j’en percevrais l’odeur, de plus votre voix ne sonnerait pas dans l’entrée avec ce vide brûlant. Montez donc l’escalier, la chambre est la première à gauche. Ah, ne vous étonnez pas, ce n’est pas à proprement parler une chambre ! Si vous avez besoin de vêtements, il y en a plein la penderie, faites comme chez vous ! » J’entreprends de me déchausser : à l’instant où je me penche, la vieille dame fait non de la tête, comme si à travers les froissements de mes habits elle avait deviné ce que j’allais faire. J’aurais aimé saluer la famille, mais l’infirme d’une voix légère me laisse entendre que tout le monde s’en fiche et que j’aurai bien le temps de les voir tout à l’heure. Pour le repas je n’aurai qu’à me servir dans le réfrigérateur.

C’est un deux pièces cuisine avec tout le nécessaire. Une coupe de fruits dans la cuisine et, raffinement inutile, un bouquet de roses au salon. La chambre donne de l’autre côté sur un paysage qui découvre sans doute un horizon que la nuit dissimule.


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