De nombreux commentateurs analysent la crise de l’eurozone actuelle par la théorie des dominos. Que faut-il en penser?
Par Olivier Braun
Dans le contexte de la crise de l’euro, Nicolas Sarkozy a dramatisé pour qu’on accepte ses solutions interventionnistes:
Si nous voulons que l’euro survive, nous n’avons pas le choix : nous devons opposer une solidarité sans faille à tous ceux qui doutent de la viabilité de l’euro et qui spéculent sur son éclatement.
On ne peut que noter une fois de plus que pour lui les responsables sont ceux qui spéculent. La théorie implicite ici est la théorie des dominos. Mais est-elle fondée ?
Effet Domino
Force est de constater qu’il n’est pas le seul à le croire. Nos hommes politiques et les commentateurs économiques et les journalistes ne cessent de répéter que la crise de la dette publique de la Grèce peut se répandre, par contagion, aux autres pays, singulièrement l’Italie, l’Espagne et le Portugal, que cette crise peut détruire l’euro. Il faut alors, bien sûr, sauver l’euro, ce qui justifie la création du fonds de stabilité, un renforcement de la « solidarité » entre États membres de la zone euro, et l’intervention de la Banque Centrale Européenne aux ressources soi-disant « illimitées », ou encore création d’autres « jouets pour les enfants », tels des obligations européennes, un centralisme accru, et maintenant un « fonds monétaire européen ».
Pourtant, où sont les démonstrations ? Il n’y en a pas, parce que le risque n’est pas là. C’est plutôt à force de répéter comme des perroquets que la crise risque de détruire l’euro, et par les pressions politiques et dramatisations, qu’on peut aller dans cette direction. Par exemple, lorsqu’on apprenait que Mme Merkel et M. Sarkozy allaient proposer une réforme des traités européens, l’Élysée fit savoir que la question pour les États qui devront ratifier le traité, se résumait ainsi : « voulez-vous sortir ou non de l’euro ». De même lorsque le premier ministre grec voulait faire approuver par référendum les mesures d’assainissement financier, on entendait le ton menaçant de M. Sarkozy : « la seule question à poser doit être : voulez-vous ou non quitter l’euro ? » Ce n’est donc pas, nonobstant la foi jurée de M. Sarkozy, un « combat » que « la France » « mène sans arrogance ».
L’euro a été fondé sur une règle : la stabilité des prix. Parmi les garanties on trouve l’indépendance de la BCE et l’interdiction d’acheter sur le marché primaire des titres de dette publique. Ceci ôte une facilité aux gouvernements et devrait les obliger à une gestion budgétaire plus saine. Presque tous les États membres ont continué leurs errements, puisque le système bancaire permet toujours de monétiser les dettes, mais certains États ont été bien plus irresponsables. Lorsque les investisseurs se réveillent et comprennent qu’un État peut ne plus avoir les capacités de rembourser, eh bien, ils cessent de prêter ou exigent des taux plus élevés pour compenser le risque plus élevé ! Que la Grèce ne puisse supporter ces taux ni rembourser, cela n’affecte en rien les budgets des autres États ni la qualité de l’euro, pas plus que la faillite du Kansas aux USA n’affecterait le dollar !
Au contraire, imprimer des euros pour rembourser les dettes grecques affaiblit considérablement l’euro, puisque son pouvoir d’achat baisse ; et ne parlons pas d’imprimer des euros pour rembourser la dette de l’Italie. C’est là que les investisseurs fuient l’euro, et pour compenser une inflation détruisant la valeur de la monnaie, les taux d’intérêt montent rapidement, dans toute la zone, et cette « prime d’inflation » s’ajoute à la prime de risque toujours présente.
Effet Pop-corn
Il n’y a aucun risque de contagion, pas d’effet domino. La seule chose qui met en péril les taux pour les autres États, c’est leur propre niveau de déficit et de dette, qui pourrait être aggravé par ces aides aux États irresponsables.
L’économiste américain Edward Lazear décrit ainsi une autre théorie, la théorie du pop-corn :
Lorsqu’on veut faire du pop-corn (à l’ancienne) on met dans une poêle sur le feu de l’huile et des graines de maïs. La chaleur fait sauter et éclater les graines. Si on ôte de la poêle la première graine qui saute, il n’y a pas de différence notable. Les autres graines sauteront de la même façon, à cause de la chaleur. La cause structurelle est la chaleur, non le fait que si une graine saute elle entrainerait les autres à sa suite.
(original en anglais, voir Wall Street Journal du 31/10/2011)
Comme l’a dit l’économiste Larry White, « les emprunts excessifs du gouvernement grec sont le problème du gouvernement grec et des porteurs de titres ». Ces derniers risquent un défaut de paiement, mais ont bien encaissé les intérêts élevés entre temps.
Mais, nous dira-t-on, les banques européennes et américaines ont des titres devenus douteux. C’est pourquoi la discipline budgétaire est indispensable. Les investisseurs veulent gagner des profits sans trop de risque. Dans ce cas, ne nous détournons pas de la seule action efficace : l’assainissement des finances publiques par la réduction des dépenses, et non par des hausses d’impôts, ruineuses pour l’économie. Et si la Grèce n’a pas les moyens de rembourser ses dettes, ne reculons pas l’inévitable, ce qui ne fait que prolonger la crise et l’angoisse : qu’elle se mette en défaut de paiement. L’assainissement sera alors devenu inévitable, elle ne trouvera plus de prêteurs.
Imagine-t-on que si la Grèce quittait l’euro ses problèmes budgétaires seraient résolus ? En apparence et à court terme, peut-être. Si la Grèce revenait au drachme, le public, au sens large, penserait-il que les nouveaux bons du Trésor grecs émis pour financer un déficit toujours présent, seraient plus sûrs ? Au contraire : il saurait que le gouvernement grec ne résisterait pas à la tentation d’utiliser sa planche à billets retrouvée et exigerait des taux d’intérêts en conséquence.
Les nouveaux jouets
En guise de conclusion, je traduirai simplement des extraits d’un article paru sur Internet le 7 novembre dernier, de l’économiste et philosophe politique d’origine hongroise, Anthony de Jasay. Il fait le portrait des « garçons » qui nous dirigent.
Les garçons sont généralement bien instruits, intelligents et des hommes et des femmes très ambitieux formant des réseaux au niveau ou à proximité des centres de pouvoir. Ils sont surreprésentés dans les partis politiques, atteignent les niveaux les plus élevé des organismes de réglementation et dans les meilleurs médias imprimés et audio-visuels. Leurs esprits fertiles continuent à produire de bonnes idées, des plans de nouvelles structures qui, si elles sont bien construites, devraient faire du monde un endroit meilleur. Pour les garçons, ces jouets promettent une double aubaine. L’une est la satisfaction d’être le champion d’une bonne cause, du progrès. L’autre moins facilement avouable, est qu’avec ces institutions nouvellement construites, viennent de nouveaux emplois, des perspectives de carrière intéressantes seront proposées à les inventeurs et aux promoteurs de nouveaux jouets. (…)
Et, ajoute-t-il, dans le contexte de la crise actuelle :
Il est difficile à croire, mais tristement vrai, que c’est devenu un dogme fermement maintenu que si la Grèce n’est pas « sauvé », toute la zone euro va s’effondrer par une réaction en chaîne cataclysmique. L’air si merveilleux et excitant en 1999, le grand jouet, l’euro, semble fragile et une source d’angoisse en 2011. Personne n’est assez courageux pour se demander avec scepticisme pourquoi la défaillance d’un pays comptant pour un minuscule trois pour cent de l’économie de la zone euro devrait fatalement provoquer l’explosion de toute la zone. « Réaction en chaîne » murmure-t-on en réponse. Mais l’économie est-elle vraiment la même chose que la physique nucléaire? La sombre réponse est probablement que si suffisamment de gens y croient, elle peut le devenir un peu.
Assez logiquement, les garçons, refusant de perdre la face à propos de leur zone monétaire, affichent un nouvel espoir d’un autre nouveau jouet plus puissant, une véritable union fédérale avec un budget centralisé.
Portrait étrangement ressemblant.