J'avais découvert le travail de Larissa Sansour il y a deux ans, quand elle présentait à l'IMA cette vidéo lunaire pleine d'espoir amer et de grâce fragile, puis je l'avais rencontrée à l'occasion de son exposition Intergalactic Palestine à la défunte galerie La Bank. J'ai aimé son humour un peu triste et sa détermination sans violence, sa capacité de révélateur/trice de ce que nous ne saurions voir sans elle et son ironie mordante à faire tomber les murs et sauter les oeillères. Elle m'avait offert un livre écrit avec sa complice israélienne Oreet Ashery, The Novel of Nonel and Vovel, une fiction à deux voix, à quatre mains pour transcender les frontières, les préjugés et les bêtises.
Hélas, ce sont ces préjugés et ces bêtises qui viennent de la rattraper. Elle avait été invitée par le Musée de l'Elysée en tant qu'une des huit artistes nominées pour la deuxième édition du Lacoste Elysée Prize, un prix financé (25 000 euros) par la marque au crocodile et décerné par un jury sous l'égide de l'excellent Musée de l'Elysée à Lausanne. L'an dernier, le photographe chinois Di Liu avait gagné le Prix : pour être tout à fait franc, je n'avais pas été très impressionné par la sélection (à deux exceptions près), ni par le lauréat, ni par le thème ("interpréter photographiquement les codes du polo L.12.12"). Cette année, par contre, le thème était moins contraignant, 'la joie de vivre' (mais assez cucul), et les sélectionnés, annoncés début novembre, me plaisaient davantage, Charles Fréger, Mathieu Gafsou, Olivier Metzger et Larissa Sansour, bien sûr, plus d'autres que je m'apprêtais à découvrir, Trish Morrissey, Anna Skladmann, Julia Smirnova, et Taiyo Onorato et Nico Krebs. La description du Prix disait explicitement : "Chacun est libre d’aborder le thème comme il l’entend, de manière directe ou détournée, avec authenticité ou dérision, sur la base d’un travail existant ou d’une création."
Larissa Sansour avait été sélectionnée pour le Prix sur la base du projet qu'elle avait proposé, Nation Estate, qui consistait en un portefeuille de photographies montrant la naissance d'un état palestinien, mais un état réduit à un immense gratte-ciel enclos d'un mur de béton (Estate au sens immobilier du terme), dans lequel était logé tout le peuple palestinien, 'finally living the high life', une nouvelle forme de 'joie de vivre'. À chaque étage du gratte-ciel, une ville; au lieu des checkpoints, des voyages en ascenseur; sur chaque palier, des souvenirs du 'vrai' pays (comme ici, à l'étage de Jérusalem, le Dôme du Rocher, et, ci-dessous, un olivier, un seul). Comme les autres artistes sélectionnés, elle avait reçu 4000 euros pour produire huit à dix photographies pour le Prix. La direction de Lacoste vient d'informer le Musée de l'Elysée qu'elle exigeait le retrait de Larissa Sansour du groupe des artistes sélectionnés car son travail est 'trop pro-Palestinien'; j'ignore si le travail des artistes suisses sélectionnés sera trop 'pro-Suisse', et sans doutecelui de Charles Fréger, avec tous ces légionnaires en uniforme, est très (trop ?) pro-Français... Larissa Sansour n'apparaît donc plus sur le site du musée de l'Elysée, et ne sera pas dans le livret édité par Art Review (comme l'an dernier). Elle se dit 'absolument choquée et profondément perturbée' par cet acte de censure à son égard (autre interview ici). Pour occulter les motifs de son éviction, il lui a été demandé de signer un document annonçant son intention de ne plus participer à la compétition « afin de se consacrer à d’autres opportunités ». Elle a refusé. Regrettant la décision de Lacoste de censurer son travail, Sam Stourdzé, le Directeur du Musée de l’Elysée, a eu l'élégance de proposer à Larissa Sansour une exposition personnelle en dehors du projet parrainé par Lacoste. De plus, le même jour, par coïncidence, l'AFAC a décidé d'accorder une bourse à Larissa Sansour pour son projet de film sur le même sujet.Que faire face à un tel acte de censure imbécile et dangereux ? Ce n'est pas là seulement une question liée à la Palestine, c'est aussi l'intervention d'un sponsor privé dans la substance même du travail des artistes qui est préoccupante. Chacun réagira à sa manière. Suivez votre conscience. Pour ma part, plutôt que d'aller dire à Lacoste ce que j'en pense, ce qui ne servirait pas à grand chose, j'ai décidé d'écrire aux sept artistes encore sélectionnés pour leur demander de se retirer par solidarité, et de suggérer aux membres indépendants (présumés) du jury de refuser de décerner le Prix sous la pression de la censure. On verra bien.
Si vous voulez en faire autant, les artistes sont joignables à (toutes ces adresses mail sont publiques et proviennent de leur site) : [email protected]; [email protected]; [email protected]; [email protected]; [email protected]; [email protected]; [email protected] . Pour le jury, Sam Stourdzé, directeur du Musée de l'Elysée ([email protected]), qui, rappelons-le, a offert une exposition personnelle à Larissa Sansour, et, dans l'hypothèse où les membres du jury sont les mêmes que l'an dernier, les membres indépendants sont joignables à : [email protected]; [email protected] pour Agnès Sire; [email protected]; [email protected] . Les deux membres du jury représentant Lacoste sont : [email protected]; [email protected]
Pour exprimer votre soutien à Larissa Sansour : [email protected] (en anglais, en arabe ou en danois). Et vous pouvez diffuser l'information.
Articles dans The Daily Star, Art Leaks, Metropolis, etc. Un joli montage ici, et une attaque contre Lacoste ici.