La spontanéité est du domaine de l'observateur qui constate un fait, fait qui vient d'être, et qui donc n'est plus. La spontanéité étant l'acte d'agir ou de répondre sans commentaire de la pensée, on accorde à cet état une valeur de rapidité, mais la rapidité s'échafaude dans le contexte du temps, et le temps lui-même est une pure création de la pensée. Donc, la spontanéité apparaît, lorsque l'homme constate son action dite spontanée, mais quand l'homme parle de spontanéité, elle n'existe plus. De même la spontanéité étant une intense activité pendant une brève période, elle n'existe plus dans le temps suivant, seul le commentaire demeure. Également elle était inexistante dans le temps précédant, mais sa venue était préparée par l'esprit de l'homme. Avant, la spontanéité se trouvait dans l'homme, elle est issue de l'homme, et lorsque la pression extérieure s'efface, la spontanéité réintègre l'homme.
Tout ceci est le résultat d'une pression de l'homme sur l'homme, de tout un processus mental qui veut se bloquer lui-même. La spontanéité est un acte de la pensée qui veut, par cette action même, prouver qu'elle n'est pas présente ; c'est l'acte de la pensée qui pense son absence. Voilà ce qui découle d'une théorie, qui enseigne que l'esprit qui ne pense pas, agit avec rapidité et sans hésitation. La pensée capte cette théorie, l'accepte et l'utilise pour se glorifier elle-même.
Est-ce parce que l'homme agit avec rapidité et sans hésitation, que son esprit est silencieux ?
Une mécanique agit avec rapidité et sans hésitation ; le transistor "parle" dès que le doigt touche le bouton d'écoute ; l'ordinateur agit avec rapidité et sans hésitation, aux nombreuses questions qui lui sont posées. Pour autant, on ne dit pas que le poste de radio et l'ordinateur sont remplis d'une grande sagesse. Voyons que la notion de rapidité fait partie du temps, et le temps est une création de la pensée, création qui donne une continuité à l'homme en forgeant les concepts de passé, présent et futur. La spontanéité se base sur la notion de l'immédiat ; immédiat où la pensée n'est pas. Mais nous comprenons que dans l'immédiat l'homme n'est pas également. Dans cet immédiat, qui est la porte vers ce qui est au-delà du temps, l'homme ne peut être. En conséquence, la spontanéité sans acteur n'est pas, elle est sans objet de support, et donc ne peut exister.
Tout ce processus fait partie du désir de l'homme, désir qui vit dans l'abstraction et l'imagination ; car au moment où l'homme désire l'acte spontané, il constate que cela est inexistant dans le présent. Donc cela est inconnu pour l'homme, et toutes les pensées concernant cet état ne seront que spéculations et illusions rêveuses de l'esprit.
Répondre avec rapidité devant une pression extérieure est considéré comme étant une forme de haute sagesse. Par cette assertion, inévitablement, l'ambition s'installe dans le cœur de l'homme. Celui-ci va accepter un conditionnement, il va s'instaurer en lui-même une pression intérieure, en vue de dominer, de réprimer et finalement de bloquer tout son processus mental. Mais l'esprit n'est pas conscient qu'il ne peut se bloquer lui-même. Cet arrêt exigé par l'homme, est exigé par le mental. Le processus qui doit arriver à la fin de tout mouvement, est un mouvement lui-même. Le mental s'arrête dit-on, mais cet arrêt est dans son propre champ, c'est une pause qui se situe à l'intérieur même du mouvement. Il y a une interruption, mais c'est une interruption du mental, c'est lui qui agit, le mental est toujours là, bien présent, car immédiatement il s'empare de la chose. Est-ce parce qu'un visage est muet, que son esprit n'est pas avide et submergé de mots ?
Cet arrêt momentané n'est qu'un silence préparé, il murmure en lui toute l'ambition de l'homme qui atteint son but.
Comprenons bien que quand le sentiment d'avoir agi spontanément arrive, cela est le résultat de tout le mécanisme mental, mécanisme qui vise à idolâtrer une certaine forme d'action. Par ce mécanisme qui n'est autre que plaisir, l'homme éprouve un jour ce sentiment de spontanéité, mais ceci n'est que la pensée qui se reconnaît dans un but créé par elle. Quand la pensée voit son but réalisé, elle s'octroie à elle-même le sentiment de libération, qui n'est autre que sa propre satisfaction, que sa propre récompense prévues dans le but. Après s'être opprimé fortement pendant un certain temps, l'homme fait l'acte dit libérateur, et de cet acte il éprouve un sentiment de libération. Mais l'esprit n'est pas conscient qu'il s'est construit sa propre prison, ainsi que sa propre clef et sa propre libération.
Mais cette prison est fictive. La véritable cellule, qui est l'esprit lui-même, n'a pas cessé d'agir, et de cette prison imaginaire sort une liberté, qui est également imaginaire. C'est l'esprit qui se dit libre. Après la prison et la spontanéité, l'esprit s'affirme comme étant libre ; mais l'esprit n'est autre que la prison et son action, quelle qu'elle soit, se situe toujours dans la cour de la prison. L'esprit peut se tromper lui-même. On peut être à l'intérieur d'une prison et se dire pour autant libre. L'esprit de l'homme ne peut connaître la liberté, il ne peut s'arrêter lui-même et désirer sa propre fin. Si l'esprit désire, l'esprit est en mouvement. Si l'homme projette un devenir sur sa vie, l'esprit est également en mouvement. La libération n'est pas du domaine du désir et de la recherche du plaisir. La libération ne peut-être expérimentée par l'esprit. Quand l'esprit cesse de chercher, sans se programmer aucun but, alors, et alors seulement, la liberté est ; - elle n'est pas à cause d'une chose spéciale, car s'il y a une cause, cela entraîne une chose conditionnée, or la liberté et l'inconditionné ne font qu'un.
Voyons que si l'esprit cesse de chercher afin de découvrir la liberté, il n'a rien cessé du tout, car il se donne encore un but. L'esprit cesse de chercher, lorsqu'il comprend profondément la structure de toute recherche, et lorsqu'il voit clairement les conséquences destructrices de ce mécanisme ; et alors, regardant avec plus de clarté, l'esprit voit également que toute cette structure "est" sa propre structure. Il se voit comme étant un amas gigantesque de multiples recherches et d'incessantes quêtes, qui toutes, par elles-mêmes, le détruisent en permanence.
Quand cette vision apparaît, l'esprit, pour la première fois, devient silencieux et dans ce silence, le regard attentif s'éveille, alors loin des ambitions de la pensée...
- Alors le cœur s'ouvre à la vie,
et c'est l'amour
qui en surgit.
Paul Pujol, "Senteur d'Eternité".
Editions Relations et Connaissance de soi
De la spontanéité, pages 54 à 58.
Livre: Senteur d'éternité.