Luc 1,38: "Marie dit alors : « Voici la servante du Seigneur ; que tout se passe pour moi selon ta parole. » Alors l’ange la quitta."
Au Moyen Orient, vos interlocuteurs mettront à peu près dans toutes leurs phrases un « Inch ‘Allah » (si Dieu le veut) qui peut parfois être assez énervant. Je m’explique : quand le plombier vous dit qu’il viendra réparer votre fuite d’eau le lendemain « Inch Allah », vous savez déjà clairement que peut-être qu’il viendra, ou pas, s’il le veut bien, s’il n’a pas autre chose à faire de plus intéressant, si ça lui convient demain ou un autre jour. Rien à voir avec la signification initiale: le fait qu’il viendra, c’est certain, sauf si Dieu en a décidé autrement : un accident de voiture est vite arrivé. Pourtant le Inch Allah renvoie bien à cette idée que notre volonté et nos décisions peuvent être altérées par un destin décidé par le divin.
Par moments, en relisant cette Annonciation de Luc je me dis que Marie a peut-être dit quelque chose de similaire : « Ok, je porterai ton fils, Inch Allah’ ». Et puis à la fatalité de mes amis au Moyen Orient et même si l’on peut y trouver la même idée de s’en remettre à Dieu pour le futur, l’attitude de Marie me semble moins fataliste et plus participative. Marie n’est pas sous la coupe de Dieu : elle est sa servante.
On n’est pas ici dans un rapport humain du service : je suis ton serviteur, au mieux ton employé, au pire ton esclave. Etre serviteur de Dieu c’est adhérer pleinement à la volonté divine, participer à son dessein.
Et dans ce texte de l’Annonciation, c’est un peu comme si l’on était à la charnière de l’Histoire, à la charnière de cette volonté divine. Dieu s’est impliqué bien des fois dans la vie des hommes et l’Ancien Testament est là pour le prouver. Il aurait pu continuer à faire de même : hop un miracle par là, un grondement par ci et basta, la vie spirituelle de tout ce beau monde continue. De son côté Marie se marie à Joseph, tombe enceinte une ou plusieurs fois, croit en Dieu, va à la synagogue, obéit aux lois juives et tout se passe pour le mieux dans sa vie d’humaine.
Mais qu’est ce qui a bien pu pousser Dieu à venir goûter à la vie humaine de plus près ? Et qu’est ce qui a bien pu pousser Marie à accepter de porter cet enfant ? Qu’est ce qui a pu pousser Dieu à s’incarner via une femme ? C’est Dieu quand même les enfants hein. Le concept de Dieu s’accompagne généralement de superpouvoirs (je sépare la mer Rouge en deux), de puissance (je fais gagner des guerres à ceux qui m’aiment), de « je fais ce que je veux, je suis Dieu ». Donc à priori pas besoin d’une bonne femme pour lancer une super opération, surtout qu’à l’époque on imagine bien que la femme était la dernière personne sur laquelle on voulait s’appuyer pour être un minimum puissant. Quelle autre explication au fait que Dieu se tourne vers une jeune femme pour lui demander de porter son fils ?
A part énormément de respect et de l’amour pour Marie et pour les Hommes ?
Quant à Marie, qu’est ce qui a bien pu la pousser à accepter cette mission ? On admire souvent cette remise à Dieu totale, presque sans hésitation en plus (ou alors Luc ne nous raconte pas tout, la nuit que Marie a passé à se ronger les ongles pendant que l’ange attendait patiemment sa décision). Je reste toujours profondément épatée par l’acceptation de Marie de rentrer dans une relation qui la dépassait totalement. La maternité est déjà en soi quelque chose qui nous échappe (même avec des échographies et des monitoring tous les mois), qui fait flipper, qui bouleverse, alors accepter d’être la « mère porteuse » du fils de Dieu, c’est à la limite de l’inconscience.
Ou alors énormément de respect et d’amour pour Dieu et pour les Hommes.