Posté par fdesbordes dans : ecrits (quand j'ai de l'inspiration),le 3eme roman - titre provisoire "Island voice" , trackback
Oncle Sponkie est un sacré personnage. Un vieux monsieur, un peu vouté, regard perdu et un peu ailleurs. Oncle Sponkie doit son nom à la seconde guerre, petit français qui avait rejoint les troupes américaines. Les mâcheurs de chewing-gum l'avaient affublé de ce surnom étrange " Sponkie ", un croisement hybride entre " spoon " et " tank " car Oncle Sponkie, dont la physionomie ressemblait à une cuillère, était un redoutable conducteur de tank.
Et puis, fatigué et seul, Oncle Sponkie est parti le plus loin possible de son Auvergne natale, choisissant au hasard sur une carte sa prochaine destination, son doigt heurta la terre rugueuse et mugissante de l'Islande.
Oncle Sponkie file droit vers ses 85 ans avec une agilité déconcertante. Il vous fait apparaître, tel un magicien, un verre de Cognac, vous le glisse dans la main avec cette bienveillance dans le regard qui vous réchauffe le coeur et s'attable pour vous raconter, l'oeil pétillant, sa grande entreprise.
Car Oncle Sponkie ne vit que pour une chose : sa collection de " tickets de voyages ", Toutes sortes de tickets. Des billets d'avion, de train, de bus, de métro, de tramway. Des " tickets mouvements " comme il l'aime à les appeler. Sa collection se monte à plusieurs milliers de bouts de papiers, tous soigneusements rangés, dans l'ordre chronologique et avec une petite notice, dans des classeurs plastifiés. Car Oncle Sponkie est un collectionneur consciencieux : il ne ramasse pas simplement les billets à sa portée, non, il traque le souvenir qui se cache derrière ces quelques grammes compostés. A l'affut dans les gares, les aérodromes, les arrêts de bus, ce curieux petit homme, étudie ceux qui jetteront ces précieux biens. Ont-ils l'air soucieux ? Sont-ils heureux d'être attendus ? Sont-ils seuls ? Quittent-ils un être cher ? Oncle Sponkie répertorie ses remarques attentives et les retranscrit sur ces notices qui accompagnent chaque ticket.
Les vapeurs de Cognac facilitant la confidence, le viel homme sort alors d'une boîte en métal, le premier objet de sa collection, un très vieux billet de train, et le caresse du plat de la main. Ce billet, il ne l'a pas composté, regardant partir cette femme qu'il aimait tant. Il n'a pas osé lui murmurer ces mots si simples sur le quai de la gare, des mots qui restèrent à jamais enfermés dans son regard.
" On ne devrait jamais hésiter en sentiment, on ne devrait jamais laisser partir ceux que l'on aime tant... Et vous ma belle ? Qui avez-vous laissé ? "
Elle ne dit rien. Espérant juste oublier chaque jour un peu plus ce sourire...