Les films coréens se font si rares dans les salles obscures françaises qu’ils sont tous de vrais petits évènements pour ceux qui comme moi en raffolent. Si 2011 ne restera pas dans les annales comme l’année où un flot de films coréens s’est déversé dans les cinémas français, décembre met tout de même les bouchées doubles en nous proposant deux films coréens à l’affiche, quand seuls trois films de la même nationalité étaient sortis depuis le début de l’année. Et si j’avais déjà vu Oki’s movie à la Cinémathèque lors de la rétrospective Hong Sang Soo, il me restait à voir Entre chien et loup, un inédit du cinéaste Jeon Soo-il datant de 2005. Je n’allais tout de même pas le rater.
Jeon Soo-il, pour ceux qui ont du mal à le remettre, est le réalisateur de deux films déjà sortis en salles dans l’Hexagone ces dernières années, l’an passé Destination Himalaya, et auparavant celui qui l’a révélé, La petite fille de la terre noire. D’ailleurs un cinéma parisien semble être décidé à devenir la salle fétiche du réalisateur coréen, puisque comme pour Destination Himalaya en 2010, l’Espace Saint-Michel est le seul lieu cinéphile de la capitale où Entre chien et loup était visible à sa sortie. Je me souvenais encore parfaitement de la séance de Destination Himalaya l’an passé dans la salle du sous-sol du cinéma, avec ce couple franco-américain ronflant dans mon dos et cette femme rouspétant contre un bruit qui la dérangeait (une anecdote que je me plais encore régulièrement raconter…)…
Mais pour ce nouveau film de Jeon Soo-il - qui date en réalité de 2005, les films de ce réalisateur ont une nette tendance à sortir en France avec quelques années de retard – c’est la salle du premier étage qui m’a accueilli. Une salle où je me souvenais également avoir vu Treeless Mountain, un autre drame coréen, quelques années plus tôt. L’Espace Saint-Michel aime décidément le cinéma coréen. Enfin, je m’éparpille. Si le cinéma coréen a été rare dans les salles françaises en 2011, il avait jusqu’ici été passionnant, de l’humour délicieux de Ha Ha Ha à la tension sombre de The Murderer, en passant par la noirceur explosive de J’ai rencontré le Diable. Mais force est de constater que les films coréens de décembre sont moins emballants que leurs prédécesseurs, Entre chien et loup encore moins que Oki’s movie.
Pour tout dire, c’est l’ennui qui a dominé la projection du film de Jeon Soo-Il, qui lorgnait finalement presque du côté de Hong Sang Soo dans la thématique. Un cinéaste criblé de dettes quitte Pusan quelques jours pour un impératif familial en province. En chemin, il tombe sous le charme d’une fille du coin à qui il va assidûment faire la cour. Ne se croirait-on pas chez Hong Sang Soo ? Seulement voilà, Jeon Soo-il n’est pas Hong Sang Soo (même si j’en connais quelques uns qui oseraient dire que c’est une qualité !), et ses histoires de famille, de séduction, d’alcool et de deuil ne prennent finalement jamais vraiment forme. Le film tourne en rond comme le personnage féminin le fait dans la neige.
Cette déception eût pu presque être un soulagement, si les craintes de début de projection concernant mes voisins de derrière s’étaient confirmées. Ceux-ci, deux personnes âgées, un homme et une femme, étaient assis juste derrière moi dans la salle. Lorsque la lumière s’est éteinte et que le générique d’ouverture du film a commencé, ils ont eu une conversation plutôt incongru que je vous retranscris ici :(elle) « Bah non, j’arrive pas à lire.(lui) – T’es sûre ? Attend que ce soit le film et que les sous-titres apparaissent.(après quelques minutes, la première scène dialoguée apparaît, et avec elle des sous-titres)(elle) – Bah non c’est tout flou, j’arrive pas à lire c’est sûr.(lui) – Eh bah voilà ce que c’est que d’oublier ses lunettes. Alala ! »
Tout à coup, une peur s’est emparée de moi. Et s’il allait passer tout le film à lui lire les sous-titres ?! La chose m’était arrivée en décembre 1998 à l’UGC Rotonde lorsqu’une mère s’était mise à lire les sous-titres du film Au-delà de nos rêves (avec Robin Williams en mort découvrant un paradis tout peinturé, vous vous souvenez ?) pour son enfant. Hors de question que cela se reproduise. Et cela ne s’est pas reproduit. Non parce que je me suis retourné pour leur intimer de se taire, mais parce que la vieille dame, dans un moment de dignité par lequel elle a gagné mon respect éternel (n’ayons pas peur de l’emphase), a alors dit à celui qui devait être son époux : « Bon bah tant pis, je vais regarder les images au moins ». Une phrase qui n’a l’air de rien mais qui à une époque où les gens jouent avec leurs casque de motos ou font tout un tas de choses bruyantes qui vous rendent fous, ce geste de sacrifice qui devrait nous être à tous naturel, revêt une grandeur d’âme sans nom.
Alors tant pis si finalement, le film m’a déçu et ennuyé, car la découverte qu’il y encore des spectateurs pour qui le respect des autres importe plus que son confort personnel vaut bien un film chiant.