En effet, alors qu'il s'adonne à une randonnée pédestre dans l'Estde l'Angleterre, le narrateur est soudainement immobilisé au point d'êtrehospitalisé. Il ne peut ainsi plus du tout se mouvoir. Cette fulguranteinfirmité se traduit immédiatement par un constat encore plus violent: il nepeut pas tenir un stylo non plus que taper sur un clavier pour faire part deson récit, ce que Sebald formule d'une manière singulière qui, plus largement,renseigne sur sa vision de l'écriture: « Ilfallut me transporter à l'hôpital de la capitale régionale, Norwich, oùj'entrepris, du moins en pensée, de rédiger les pages qui suivent.»Curieuse remarque liminaire du récit qui indique qu'en fait on écrit en pensée,c'est à dire qu'on rédige sans rédiger, qu'on écrit sans rien écrire àproprement parler, comme si le livre allait s'écrire en pensée, à savoir sansvéritablement s'écrire. Se donne alors incidemment la définition de l'écritureselon Sebald, une écriture qui ne s'écrit pas mais qui écrit quand même: une écriture moins l’écriture. Et depuisson caractère intangible, atopique et fantastique, cette écriture moinsl'écriture fonde l'ensemble des narrations de Sebald, qui sont des récits depensée, où l'on a une pensée pour feue la Littérature, des récits d'une écrituretélépathique (on entre en contact avec des morts) où il en va aussi de lapensée, ni essais ni romans mais poèmes au sens romantique et où se dessinenttrois figures de cette littérature moins la littérature, trois figures de cetteécriture moins l'écriture d'où surgitla possibilité de continuer à écrire quand il n'y a plus d'écriture possible,d'où surgissent ces ultimes salut et sursis comme pour revenir de la trèsgrande mort de la Littérature d'où chacun parle depuis 1945. La première figurede cette écriture moins l'écriturequi traverse l'œuvre de Sebald est celle du narrateur qui n'écrit pas. Il esttoujours le grand témoin de chacun des écrits car en effet, loin d'écrire, ilécoute: il n'a pas d'histoire.