Inepties

Publié le 20 décembre 2011 par Toulouseweb
L’industrie aérospatiale américaine affiche ses inquiétudes.
Le couperet est tombé : le Pentagone va réduire drastiquement ses dépenses, des contrats prévus de longue date ne seront pas signés, des commandes annulées, sans espoir de reprendre vie dans d’hypothétiques jours meilleurs. Ces derniers, en effet, ne reviendront tout simplement pas.
Du coup, l’industrie aérospatiale et de Défense américaine s’agite, explique, suggère, menace. Les arguments, quels que soient les interlocuteurs, ne sont ni originaux, ni inattendus : les Etats-Unis vont s’affaiblir, ils éprouveront les pires difficultés à tenir leur rang de super puissance et l’économie pâtira gravement de ce mouvement de recul.
L’AIA, Aerospace Industries Association, martèle que les coupes claires, telles qu’elles sont prévues, auront pour principal conséquence la disparition de plus d’un million d’emplois. L’argument est d’autant plus frappant qu’il n’est pas replacé dans son juste contexte : les membres de l’AIA occupent 629.400 personnes et la menace économique ainsi brandie n’a de sens qu’en prenant en compte plusieurs centaines de milliers d’emplois induits ou indirects.
Les échanges de propos peu amènes se multiplient au fil des jours. On retiendra plus particulièrement les conclusions d’une étude de l’Université du Massachusetts conduite par le Political Economy Research Institute, qui prend l’allure d’une douche froide. En effet, les auteurs de ce document affirment qu’un milliard de dollars dépensés par le département de la Défense génère 11.200 emplois alors qu’un même montant en assure 17.200 dans le domaine de la santé, 26.700 dans l’éducation et 16.800 dans les disciplines environnementales. De quoi susciter l’incrédulité et la colère de Marion Blakey, directrice générale de l’AIA. Pour elle, il s’agit là d’«inepties».
C’est un raisonnement tout à fait hypothétique, ajoute Marion Blakey. La réponse universitaire, cinglante, n’a pas tardé. Une telle étude serait considérée comme stupide uniquement parce que ce sont des professeurs qui l’ont signée. Ambiance… D’autant que le mouvement de régression va prendre du temps, la preuve en étant donnée par le nouveau budget de la Défense, actuellement soumis à la signature du Président Obama : il se monte à 662 milliards de dollars, y compris 117 milliards consacrés aux opérations extérieures, «War Spending» dans la terminologie budgétaire américaine. On est encore très loin d’un mouvement de recul, qui ne commencera pas à apparaître avant l’année fiscale suivante.
On remarque par ailleurs que ce train d’économies ne fait pas vraiment l’unanimité politique : le budget du Pentagone a été approuvé par les sénateurs par 86 voix contre 13 mais, au Congrès, le vote a fait apparaître 283 voix favorables tandis que 136 «congressmen» s’y sont opposés.
Les membres de l’AIA affichent actuellement une bonne santé éclatante, ce dont témoignent les statistiques provisoires relatives à l’année qui se termine. Le chiffre d’affaires, en légère hausse, est de 217 milliards de dollars dont 51,7 milliards pour les avions civils. La partie strictement militaire de ce résultat, hors exportations, est de 105 milliards, c’est-à-dire grosso modo la moitié du total. Un constat qui tend évidemment à relativiser les inquiétudes des industriels. D’autant que les exportations se montent à près de 87 milliards, dont 10,2 milliards seulement pour des produits militaires. Quant au carnet de commandes, il atteint près de 463 milliards, impressionnant, certes, mais qui ne correspond qu’à un peu plus de deux ans de travail.
Cette situation, tout au bénéfice des productions civiles, va être amplifiée, dès 2012, par les bons résultats annoncés de Boeing : les livraisons de 787 vont enfin prendre leur rythme tandis que les centaines d’intentions d’achats de 737 MAX vont prochainement devenir des commandes à part entière.
Du coup, l’apport à la balance commerciale américaine, 57,4 milliards de dollars en 2012, est assuré de gagner en importance. Et cela malgré des importations qui frisent maintenant les 30 milliards, principalement à la suite des succès répétés d’Airbus.
L’AIA est aussi inquiète pour d’autres raisons qu’elle évoque peu. Aucun avion de combat nouveau n’est actuellement en développement aux Etats-Unis, la production du F-22 (notre illustration) se termine et le F-35 se heurte à des difficultés techniques qui commencent à susciter une très grande inquiétude. Ce qui revient à dire qu’il est de plus en plus difficile d’assumer un statut de super puissance qui n’a plus les moyens de ses ambitions.
Pierre Sparaco - AeroMorning