Les corpus
La numérisation des estampes de Célestin Nanteuil conservées au département des Estampes et de la photographie révèle à nouveau ce graveur reconnu dans les années 1830 et déjà oublié de son vivant. Pourtant, lorsque la Bibliothèque nationale, en 1930, consacre une exposition au Romantisme, l’affiche reprend un encadrement réalisé en 1838 par Célestin Nanteuil pour une page des Voyages romantiques de l’ancienne France :
Le Romantisme : exposition de manuscrits, de livres, de reliures, de médailles, de dessins et d’estampes / Bibliothèque nationale / avec le concours du Mobilier national / du 23 janvier au 9 mars 1930 : [affiche], 1930, impression photomécanique ; 52 x 35 cm
Célestin Nanteuil (1813-1873) représente le graveur romantique par excellence. Homme doux et tranquille, particulièrement timide au milieu des jeunes gens fougueux des années 1830, il brûle de passion pour la comédienne Marie Dorval, qui lui préfère Alfred de Vigny. « Personne ne fut plus agneau que Célestin Nanteuil », dira le critique Champfleury. De ces battements de cœurs, de son admiration fascinée pour Victor Hugo, naissent des créations artistiques au style exalté.
Nuit d’attente / Célestin Nanteuil, Lith. Petit & Bertauts ([Paris]), 1838, lithographie ; 13 x 13 cm
Formé dans l’atelier d’Ingres et aux Beaux-Arts, il se nourrit aussi des œuvres littéraires du cénacle romantique, celles de Hugo, Gautier, Dumas. Hugolâtre engagé, il participe à la bataille d’Hernani. Il est le chef de file de cette génération des Jeunes-France, appellation qui reprend le titre du roman de Théophile Gautier pour lequel il compose un frontispice en 1833. Gautier admire son style : « Il excellait à encadrer des personnages de poème, de drame et de roman dans des ornements semblables à des châsses gothiques avec triples colonnettes, ogives, niches, dais, piédouches, statuettes, figurines, animaux chimériques ou symboliques, saints et saintes sur fond d’or qu’il inventait au bout de la pointe, car il avait une fantaisie inépuisable ». Le répertoire iconographique mélange décors du Moyen-âge et personnages Renaissance, gnomes et anges, figures monstrueuses et femmes séraphiques, chevaliers en armure et messieurs en redingote. Il invente des êtres rêvés dans des cadres féeriques, un « Jeune homme portant une cape noire adossé à un arbre au bord d’un ruisseau », ou une « Jeune fille attachée sur le dos d’un cheval au galop » :
[Jeune fille attachée sur le dos d'un cheval au galop] / Célestin Nanteuil, 18.., lithographie ; 19,5 x 19,8 cm
Sa longue carrière de graveur se scinde en deux parties : admirable aquafortiste dans les années 1830, il utilise presque exclusivement la lithographie à partir de 1845. Ses compositions ingénieuses, sa liberté de création, sa verve d’ornemaniste, la légèreté de sa pointe sur le cuivre, puis l’originalité de son crayon lithographique, sont au service d’écrivains, de revues ou de peintres, puisque toutes ses œuvres quasiment sont illustrations ou interprétations. Il a vingt ans en 1833 lorsqu’il illustre Notre-Dame de Paris de Victor Hugo, son maître et ami, dont il grave aussi le portrait. De 1832 à 1838, Nanteuil est déjà à l’apogée de sa renommée. Il prête son talent d’aquafortiste aux auteurs publiés par l’éditeur Renduel : Théophile Gautier, Alexandre Dumas, Gérard de Nerval. Dans les années 1840, l’enthousiasme romantique est retombé et Nanteuil se tourne vers la lithographie pour des titres de romance ou des encadrements de pages, comme celles des Voyages pittoresques de Taylor et Nodier consacrées à Moissac, Amiens, Narbonne. Il publie également ses estampes dans plusieurs périodiques, Le Monde dramatique, La Mode, revue du monde élégant, La Revue des peintres, l’Artiste et le Guet-apens, revue qu’il a lui-même fondée. Il interprète par l’estampe les peintures de Meissonier, Isabey, Decamps, Diaz, Haffner, Gigoux, voire ses propres tableaux. Parmi ces dernières œuvres, cette belle planche, amèrement intitulée « Avenir », rappelle les rêves de jeunesse de l’artiste au milieu des siens. À la fin de l’Empire, ex-romantique assagi, il est peintre de genre et directeur de l’École des Beaux-arts de Dijon, décoré de la Légion d’honneur en 1868. À la « flambée romantique du début » a succédé une « maturité obscure et dénuée », pour reprendre les propos de son biographe, Aristide Marie.
Pour aller plus loin :
- les diverses éditions d’œuvres littéraires auxquelles Nanteuil a participé, répertoriées dans le catalogue général de la BnF
- Moutaux, Geneviève, Célestin Nanteuil : 1813-1873 : catalogue raisonné des eaux-fortes, des lithographies et des illustrations, mémoire de l’Ecole du Louvre, 1984, inédit
- Beraldi, Henri, Les graveurs du XIXe siècle, guide de l’amateur d’estampes modernes / Henri Beraldi. - Paris : Librairie L. Conquet, 1885-1892
- Marie, Aristide. Un imagier romantique; Célestin Nanteuil, peintre, aquafortiste et lithographe. - Paris: L. Carteret, 1924
- Célestin Nanteuil : peintre, aquafortiste et lithographe, 1813-1873 / Aristide Marie. - Paris : H. Floury, 1924
- Le drame amoureux de Célestin Nanteuil, d’après des lettres inédites adressées à Marie Dorval / Champfleury ; avec un portrait d’Alphonse Karr dessiné au crayon par Célestin Nanteuil / Champfleury. – Paris : Dentu, 1887
- Un voyage romantique en 1836 / Louis Barthou - Paris : H. Floury, 1920 (sur la complicité de C. Nanteuil lors d’une escapade amoureuse de Hugo avec Juliette Drouet)
Monique Moulène, département des Estampes et de la photographie