Aux dernières nouvelles, celles que donnait en tout cas jeudi 22 novembre le site de la télévision Al-Jazira, Enrico Macias n’accompagnera pas Nicolas Sarkozy lors de la visite que ce dernier doit effectuer en Algérie du 3 au 5 décembre prochains. Bien que des travaux d’embellissement y aient été lancés en prévision du passage du président français, Enrico ne reverra pas sa ville natale, Constantine, quittée en 1962.
Etre un ami proche de l’ancien président, s’être prononcé pour sa candidature lors d'une émission de Ruquier à la télévision en dépit de ses sympathies à gauche, avoir chanté pour lui à Bercy lors de son meeting final, rien n’y aura fait : Enrico Macias ne sera donc pas "le plus heureux des hommes" en retrouvant le pays de son enfance, comme il l’avait déclaré dans un entretien pour Le Jour d’Algérie . Cette nouvelle tentative de retour au pays n'aura pas eu plus de succès que les précédentes.
En 2000, l’invitation du président Bouteflika, rencontré au sommet de Davos, avait suscité de très fortes protestations en Algérie, notamment celle de la "Coordination nationale contre la normalisation" [avec Israël] alors dirigée par celui qui est devenu aujourd’hui le chef du gouvernement, Abdelaziz Belkhadem. En 2003, un projet de tournée avait dû être abandonné, ainsi que celui d’une visite imaginée en 2006, lorsque le succès du retour de Zineddine Zidane, autre exilé célèbre, avait fait naître chez Enrico Macias des espoirs que l’Express avait aimablement relayés dans un article …
Il faut dire que le prix de l’amitié menaçait d’être lourd à payer pour le président français dont l’objectif pour cette visite est de réaliser, non pas trois milliards d’euros de contrats divers comme au Maroc, mais quatre. Et cela ne se fera pas si l'ambiance n'est pas là… Or, comme le soulignait perfidement un communiqué de la "Coordination nationale contre la normalisation" déjà mentionnée, comment Sarkozy pourrait-il emmener avec lui l’ancien pied-noir alors qu’il s’était gardé de se faire accompagner, pour ne pas blesser la susceptibilité du trône chérifien, par certains "officiels français d’origine marocaine", y compris pour les plus… proches, Rachida Dati pour ne pas la nommer ???!!!
Certes le chanteur reste incontestablement populaire en Algérie, mais il n'est pas pour autant en odeur de sainteté. Un article d’Alsharq al-awsat en décembre 2002 signalait ainsi qu’un étudiant avait cherché à lui témoigner par écrit son admiration, ce qui lui avait d’ailleurs valu de se faire passer un savon par la police locale...
Car en plus d’un lieu et d'abord à Constantine, la mémoire est loin d'être apaisée en ce qui concerne la Guerre de libération (حرب تحرير : on ne dit pas les "événements d'Algérie" de l'autre côté de la Méditerranée...). La venue du chanteur en tant qu’accompagnateur officiel du président français serait même vécue comme une "insulte" (اهانة : le mot est proche de l’humiliation) à la mémoire des moujahidines. Dans la capitale de l’Est algérien, le nom de Gaston Ghrenassia, le vrai patronyme d’Enrico Macias, est en effet associé à travers son beau-père, le célèbre musicien "cheikh" Raymond Leyris assassiné en 1961, à une famille juive dont on affirme, selon cet article d'Al-Quds al-'arabi, qu'elle prit ouvertement le parti des colons et qu'elle aurait sur la conscience la mort de nombreux combattants nationalistes.
Pour ne rien arranger, Enrico Macias ne fait pas mystère de son soutien à l’Etat d’Israël et il accepte toujours généreusement de chanter bénévolement pour les œuvres de bienfaisance de l’armée israélienne. En janvier 2006 notamment, au profit de Migdal, une association sioniste clairement de droite. A cette occasion, et avec cet aspect chaleureux qui le caractérise, on a pu ainsi l’entendre ainsi déclarer : "Depuis le début de ma vie je me suis toujours donné corps et âme pour l’Etat d’Israël mais en premier lieu pour Tsahal, mais maintenant pour Magav. (…) Je fais pas ça ni pour ma publicité, ni pour ma carrière, ni rien du tout … Je me suis toujours donné pour l’Etat d’Israël, donc pour Tsahal et pour Magav, et pour Migdal.(...) Croyez-moi, c’est ça le miracle d’Israël…" Facilement disponible sur internet, la vidéo ferait certainement beaucoup d'effet en Algérie en cas de visite du chanteur avec le président français !
S’il veut tellement revoir son pays d'origine, Enrico Macias devrait peut-être suivre les conseils que lui donne l’auteur d’un article publié sur le site lemague.net et signé Ben Ali : pourquoi ne pas faire comme tout le monde et prendre le bateau ou l’avion, comme d’autres artistes pieds-noirs célèbres avant lui : Robert Castel, Guy Bedos ?... Encore mieux, il devrait se joindre à la magnifique troupe d’El Gusto, cette bande d’amoureux du chaabi algérien.
Toutes générations, nationalités et origines religieuses confondues, les membres de cette sorte de Buena Vista Social Club algérien se retrouvent pour le plaisir de jouer ensemble, après avoir été séparés pendant des années par les suites de la guerre. Découvrez cette vidéo, juste pour el gusto !Culture & Politique arabes