… bien peu de médias occidentaux s’y intéressent ! Et pourtant, à l’occasion de la "Journée mondiale de lutte contre les violences à l’encontre des femmes", une des plus grandes autorités religieuses chiites, cheikh Mohammad Hussein Fadlallah, a donné un "avis juridique" qui fait grand bruit dans l’ensemble du monde arabe.
Le quotidien Al-Quds al-‘arabi raconte ainsi qu’en Jordanie, comme ailleurs dans la région, la journée de prière de vendredi dernier a été l’occasion pour les hommes de religion de poursuivre à travers leurs prêches un débat très largement ouvert sur les sites internet et durant les émissions religieuses de bien des chaînes satellitaires.
Il faut dire que cette fatwa du 25 novembre dernier mérite d’être qualifiée, comme le fait le site libanais iloubnan, "d’avant-gardiste". Cheikh Fadlallah affirme en effet que "la femme peut répondre à la violence physique de l’homme contre elle par une même violence, dans le cadre de l’autodéfense".
Partant du principe, assez consensuel, que l’islam réprouve toute violence exercée par un homme contre sa femme, le religieux libanais prolonge le raisonnement dans une direction bien plus polémique en disant que cette dernière, en l’absence d’autre recours, a le droit de répondre à la violence de son mari… par la violence.
Cet avis a rapidement été interprété dans nombre de médias arabes comme "le droit de la femme à frapper son mari et à quitter son lit" (مرجع شيعي بارز يفتي بحق المرأة ضرب زوجها وهجر فراشه : voir sur le site de la chaîne Al-‘arabiya cet article qui, en l’espace d’une semaine, aura tout de même incité près de 400 internautes à laisser un commentaire).
Tandis que des organisations féminines, au Liban par exemple selon le site Al-afaaq, soulignaient l’importance de ce point de vue dans lequel elles ont vu un appel à cesser "de se cacher derrière la religion" (الكف عن التستر خلف الدين) pour justifier la violence masculine, cette déclaration, venant d’un religieux chiite qui n’en est pas à sa première prise de position en faveur de l’émancipation des femmes, a naturellement suscité nombre de réactions dans le monde sunnite.
En Arabie saoudite, un membre du Conseil de légisprudence islamique (مجمع الفقه الاسلامي) considère qu’une violence physique raisonnable - de la part du mari bien entendu ! - dans un but pédagogico-punitif (تأديبي), reste acceptable (voir cet article sur le site al-moheet).
Refus énergique de l’avis de cheikh Fadlallah par les oulémas d’Al-Azhar également, mais sur la base d’une argumentation un peu tortueuse, en vertu de laquelle la femme ne doit pas user d’une violence que l’islam réprouve et qu’elle doit donc avoir recours à sa propre famille en cas d’agression physique notamment.
Tout en se gardant bien d’entrer dans le détail de la casuistique musulmane, on peut tout de même s’étonner de constater que les médias occidentaux ignorent totalement un débat qui passionne tellement cette fameuse "rue arabe" dont on aime si souvent dénoncer les travers !
Il est vrai que la fatwa de Fadlallah, réputé très proche du Hezbollah, cadre assez mal les certitudes qu'on aimerait tant nous faire partager à propos d’un islam aussi monolithique que rétrograde. Il faut le redire : il n'y a pas un islam éternel et inamovible, fondamentalement opposé à "nos" valeurs.
A côté de des muftis délirants et complaisants vis-à-vis du pouvoir politique (voir ce précédent billet) qui représentent un des visages de l'islam contemporain, il y en a d'autres - mais encore faudrait-il en parler... - qui, comme l'explique en substance le même Fadlallah dans une mise au point ultérieure, se réjouissent de la confrontation de multiples points de vue à propos d'une question de société aussi importante.
Texte français de la fatwa sur le site de Fadlallah.
Culture & Politique arabes