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Le conte de Noël

Publié le 20 décembre 2011 par Corboland78

Amusant et intimidant, si on m’avait demandé mon avis à cet instant, c’est ce que j’aurais répondu instantanément. Le costume était drôle, mais le rôle était important mine de rien.

Quand je suis arrivé, un homme aimable et débonnaire m’a indiqué du doigt la pièce où je trouverai un costume à ma taille. « Cherchez bien, nous avons toutes les tailles sans exception. Mais par pitié, rangez correctement les vêtements que vous n’utiliserez pas, sinon après c’est un vrai bordel ! » N’ayant pas l’intention de me faire remarquer négativement, je lui ai indiqué par un signe discret de la tête que j’avais bien compris son message et qu’il pouvait compter sur moi. Je suis entré dans la salle et j’ai ouvert de grands yeux étonnés.

Sur des portants métalliques à roulettes, des centaines de manteaux rouge et blanc attendaient qu’on vienne les cueillir. D’un coup d’œil circulaire, j’ai embrassé la salle pour prendre mes repères. Des portants à foison, des malles ouvertes de toutes tailles et de l’autre côté, des chaises comme dans une salle de spectacle, dont j’ai compris l’usage assez rapidement, quand j’ai remarqué que je n’étais pas seul dans les lieux.

Sur une chaise, j’ai déposé mes propres fringues, ma veste, mon pantalon et ma casquette, ainsi que mes baskets. Ensuite je me suis dirigé vers ces portants voyants, pour me dénicher un manteau à mes mesures. Sans réfléchir j’en ai pris un qui m’allait comme un gant. « Grave erreur ! » m’a prévenu l’autre homme dans la pièce, qui comme moi était en train de s’habiller. Entrouvrant sa défroque, j’ai pigé que j’avais oublié d’enfiler un ventre postiche, pour simuler l’embonpoint, ce qui de facto, m’obligerait à porter un manteau plus large.

Ensuite dans une malle, je me suis dégoté une paire de bottes en similicuir et j’en ai choisi une bien confortable pour ne pas finir la journée avec les pinceaux en feu. Une grosse ceinture et un bonnet assorti à mon manteau, pour le costume j’étais paré. Il ne me restait plus qu’à passer dans la pièce contiguë, où j’avais vu filer mon futur collègue.

Comme dans une loge de théâtre, une femme entre deux âges – un doux euphémisme pour signifier plus près du troisième que du premier âge – maquillait l’homme qui m’avait précédé. Une perruque banche à cheveux longs, une barbe assortie et des lunettes à verres ronds. La grande glace cerclée d’ampoules face à la table de maquillage où je m’étais assis, me renvoyait le visage d’un vieil homme au regard goguenard noyé entre poils et cheveux qui m’était néanmoins familier. Lui et moi ne faisions qu’un maintenant. « Voilà ! Vous allez faire l’affaire ! » c’est sur ces mots que la maquilleuse me congédia en m’expédiant vers la lourde porte fermée, à l’autre bout de la pièce.

Dans cette dernière salle, plusieurs dizaines d’hommes dans le même costume que le mien, se regardaient discrètement les uns les autres, ne sachant trop quelle attitude adopter, attendant que sur l’estrade paraisse notre mentor.

Un crachotement dans un micro, avant qu’une voix nous annonce, « Messieurs, vous voici réunis dans ce qui sera votre tenue de travail pour ce CDD d’un mois. Prenez en soin car tout accroc sera décompté de votre paye. Je vous rappelle les consignes qui sont simples, être aimable en toute circonstance ! Mon assistant va maintenant passer parmi vous pour vous indiquer le lieu de votre affectation, grand magasin ou centre commercial. Je vous souhaite à tous bon courage et remplissez votre mission avec dignité. Ce sera tout, messieurs, vous pouvez disposer ! »

Voilà, je suis le Père Noël, on m’a indiqué mon secteur, le centre commercial de Parly2. Durant tout ce mois de décembre, c’est moi que vous allez croiser, ce type en houppelande rouge, transpirant un peu sous cette lourde capuche. Souriant aux gamins et les prenant sur mes genoux pour une photo souvenir. Les sympas qui rient, mais aussi ceux qui hurlent de peur quand je leur parle, ceux qui pleurent quand je les cajole, ceux qui trépignent et s’agitent quand j’essaie de leur faire tenir la pause pour le photographe, le spot lumineux en pleine figure. Et je vous épargne, les plus grands qui veulent m’arracher la barbe ou me chiper mes lorgnons, en me fichant des coups de pieds dans les genoux.

« Être aimable en toute circonstance », la consigne me bourdonne dans les oreilles quand je dois affronter de petits morveux aux parents mal éduqués. Si encore la paye était à la hauteur des souffrances endurées, mais vous vous doutez bien qu’il n’en est rien. Mais avais-je le choix ? Quand Pôle Emploi ma conseillé ce job, j’ai bien compris que j’avais intérêt à m’y précipiter si je voulais continuer à palper mon allocation mensuelle. A la réflexion, je reconnais qu’il y a pire boulot et même pour ce job, pire situation si j’en crois Roger, un vieux de la vieille dans l’emploi, qui m’a un peu raconté sa vie tandis que nous reprenions nos vêtements au vestiaire.

Alors si vous me croisez dans les allées du centre commercial, soyez sympa, laissez vos gamins prendre une photo avec moi, je touche un minuscule pourcentage sur chaque tirage, et surtout surveillez vos gosses, empêchez-les de me pourrir la journée. Même le Père Noël à droit à son cadeau.  


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