J’ai regardé Peau d’Âne, comme il se doit, avec mes enfants ;c’est certainement la configuration idéale pour apprécier ce que ce film a dedélicieusement pervers. Les deux chérubins étaient bouche bée devant lescostumes insensés, les décors outrageusement féériques, et toutes cestrouvailles merveilleuses – au sens premier – qui rendent le film à la fois lisibleet poétique. Les visages bleus des serviteurs, témoignant à la fois de leurallégeance et de leur insignifiance ; la forêt (enchantée, naturellement)qui envahit le château d’insidieuses langues de lierre et d’absurdes cerfsempaillés ; la mélodie élémentaireet lancinante chantée par la princesse encore innocente et qui fait le thèmemusical de tout le film ; et Peau d’Âne courant à grandes enjambéessilencieuses et glissantes dans un temps arrêté, à travers une cour de ferme peupléede vivantes statues …
Pour ma part, je ne me suis pas plus ennuyée qu'eux,mais sans doute pour d’autres raisons, étant probablement plus sensible qu’unmarmot de sept ans à l’insondable dépravation de cette friponne de Peau d’Ane,à l’impudente coquetterie de la marraine fée et à la lubricité pateline de JeanMarais. Pour tout dire, Deneuve dans Peau d’Âne est exactement la même que dansBelle de Jour ; belle et vulnérable à croquer, et complètement tordue.Elle aura décidément beaucoup fait pour le mythe de l’éternelle Eve.
Il n’empêche : de cinq à trente-sept ans, nous avonstous assisté avec émerveillement à la révélation de Peau d’Âne. Elle a beauêtre une dévergondée de première classe, la robe couleur de soleil fait son petiteffet. Quel drôle de film où l’on est un instant tout ému par des personnagespourtant joyeusement immoraux…
Peau d’Âne, Jacques Demy, 1970