Salle 5 - vitrine 4 ² : les peintures du mastaba de metchetchi - 11. du parangon originel de l'amour filial ...

Publié le 20 décembre 2011 par Rl1948

    A la rentrée de septembre, après nos vacances pseudo-estivales, nous avions déambulé, souvenez-vous amis lecteurs, dans la Galerie Mansart de la Bibliothèque nationale, au Quadrilatère Richelieu, avec l'intention d'y admirer une exposition dédiée à Emile Prisse d'Avennes qui avait en son temps rapporté d'Egypte la célèbre "Chambre des Ancêtres" de Thoutmosis III qu'au printemps nous avions également découverte, ici au Louvre, en salle 12 bis.

   C'est mêmement dans ce Département des Antiquités égyptiennes qu'en provenance de la dite Bibliothèque nationale, avaient abouti d'autres pièces d'importance au début du XXème siècle, dont une stèle, référencée C 286, exposée dans la vitrine 9 de la salle 13, plus communément dénommée Crypte d'Osiris, précisément située sous le monument thoutmoside.

   Mais, vous étonnerez-vous peut-être, pourquoi ce rappel ? Car, en toute logique, ce n'est plus de Prisse d'Avennes qu'il s'agit actuellement mais de Metchetchi

   Rassurez-vous, je ne suis pas encore atteint de la pathologie du yo-yo et si je vous fais à nouveau voyager d'une salle à l'autre en ce musée, c'est uniquement pour étayer mes propos et, aujourd'hui, pour développer le titre que j'ai donné à notre présente rencontre.

   Si l'universalité des aspects que recouvre la notion de paternité n'est plus à démontrer : en effet, nous avons compris lors de notre pénultième rencontre que dans toutes les civilisations le père, de son vivant, est tout à la fois géniteur, nourricier et pédagogue, c'est en revanche dans la seule Egypte pharaonique que nous croisons l'image du père mort, incontournable et itérative, qui constitua l'épicentre de mes propos de samedi dernier.

   De sorte qu'aujourd'hui, il m'agréerait d'aborder avec vous la genèse, l'origine conceptuelle de ces rapports synallagmatiques sur lesquels nous avions clos notre précédent entretien après nous être penchés sur un des fragments de peinture murale exposé dans la longue vitrine 4 ² de la salle 5.

     Et pour ce faire, arrêtons-nous un instant sur le monument que nous avons ici devant nous. La stèle d'Imenmès, chef des troupeaux de boeufs d'Amon à la XVIIIème dynastie, offre la particularité de nous donner à lire un "hymne" à Osiris. Certes, bien des documents d'époque nous distillent des fragments du mythe osirien, à commencer par les corpus funéraires que sont les Textes des Pyramides, évidemment les premiers sur ce sujet, mais aussi les Textes des Sarcophages et, dans la foulée, des exemplaires du Livre pour sortir au jour, plus connu sous l'appellation erronée de Livre des Morts. Mais de toutes les sources avérées, cette stèle constitue la seule à nous fournir une narration égyptienne systématique de cette geste légendaire.

     Puis, bien plus tard, c'est-à-dire au début du IIème siècle de l'ère commune, il y eut l'écrivain d'origine grecque Plutarque qui, avec son traité De Iside et Osiride (D'Isis et d'Osiris), fournit un texte suivi, synthétique et exégétique de première importance : il s'agit non seulement de la recension du mythe osirien la plus complète que nous possédions mais, en outre, l'on se rend maintenant compte qu'à moult reprises, elle a été corroborée par les documents égyptiens mis au jour et traduits depuis par les philologues.

   Pour ma part, bien que voici un an, dans un article intitulé "Les choses secrètes d'Abydos", j'aie déjà évoqué cette légende et, notamment, les relations peu fraternelles entre Osiris et Seth, je pense qu'il serait intéressant que, très synthétiquement, j'en précise à nouveau la trame.

     En fait, retenez cinq étapes principales :

*  Quête d'Isis après le démembrement du corps de son époux par Seth ;

*  Déploration du corps du dieu, remembré et capable de procréer ;

*  Naissance et éducation de l'enfant-divin (Harpocrate = Horus l'enfant) ;

*  Lutte d'Horus contre son oncle Seth pour recouvrer l'héritage paternel ;

*  Triomphe d'Horus, devenu Harendotès (= Horus qui intercède, qui prend soin de son père).

     Ces prémices avancées, arrivons-en voulez-vous, au sujet précis pour lequel je vous ai conviés ce matin.

   A la seizième des 28 lignes gravées horizontalement sur la stèle C 286 du Louvre, nous pouvons lire, dans la traduction qu'en donna en 1931 l'égyptologue français Alexandre Moret :

   (C'est elle - Isis, sous forme d'oiselle) qui relève ce qui est affaissé dans le dieu au coeur défaillant ; qui extrait sa semence, procrée un héritier, allaite l'enfant dans la solitude, sans que nul ait connu où il (était).

   De cette union charnelle, par ailleurs iconologiquement gravée dans le temple de Séthi Ier en Abydos,

la formule 366 des Textes des Pyramides de Téti, de Pépy Ier et de Pépy II, notamment, mentionnait déjà, au § 632  :

   Ta soeur Isis est venue vers toi, exultant de l'amour que tu inspires ; tu l'as placée sur ton  phallus pour que ta semence pénètre en elle.

   Pour la suite, c'est chez Plutarque que nous lisons, au chapitre 19, p. 74 de mon édition de 1924, dans la traduction de Mario Meunier :  

   Quant à Isis, avec qui Osiris avait eu commerce après sa mort, elle mit au monde avant terme et faible des membres inférieurs, un enfant qui reçut le nom d'Harpocrate.

   Entendez par là le nom que les Grecs donnèrent à Horus, fils d'Isis et d'Osiris, en tant qu'enfant car, dans la mythologie égyptienne, il nous faut distinguer Horus l'Ancien, dieu faucon protecteur du roi et Horus l'Enfant.

   Horus, l'Enfant ; Horus, né d'un père mort ; Horus, fils d'Osiris, son descendant, son héritier ; Horus, symbole de continuité puisque promis à la royauté terrestre : nous voici exactement à la naissance même du concept d'amour filial que j'évoquai d'emblée ce matin.

   La formule 606 des mêmes Textes des Pyramides, aux paragraphes 1683 b à 1685, indique :

   C'est moi, je suis ton fils, je suis Horus. C'est pour te laver, te purifier, te faire vivre ; c'est pour rassembler tes os, collecter tes parties molles, rassembler tes lambeaux démembrés que je suis venu vers toi, ô mon père (...), car je suis Horus-qui-prend-soin-de-son-père.

   Indépendamment du fait qu'il se dut d'annihiler le mal dont Osiris avait été victime lors de l'attentat  perpétré par Seth, Horus conçut que son devoir de fils consistait à rien moins qu'assurer la survie de son défunt géniteur. Si Isis, nous le savons maintenant, par amour, reconstruisit physiquement Osiris, Horus, leur fils, également par amour, le reconstitua socialement. Ce qui, en d'autres termes, signifie qu'à l'instar de l'amour conjugal, la piété filiale fut suffisamment forte pour sublimer, dépasser, transcender les frontières de la mort, autorisant ainsi les contacts avec un être dans l'Au-delà.   

   A Horus incomba la lourde tâche de rendre à Osiris sa dignité, son statut, son honneur au sein même de la congrégation divine. A Horus revint le devoir de protéger désormais son père d'adversaires éventuels en lui préparant une sépulture, en instaurant pour lui un culte funéraire, en pourvoyant aux rites qui précisément lui permettront une vie éternelle ... Et tout cela, incontestablement, en tant que, comme le spécifient les textes, son fils qu'il aime !  

   Son fils qu'il aime ???

   Je remarque çà et là de légers froncements de sourcils, l'un ou l'autre regard quelque peu dubitatif, voire des points d'interrogation illuminer les pupilles de certains d'entre vous. J'ai même cru entendre murmurer : "Bon dieu ! Mais c'est ... bien sûr ..."

   Cinq minutes encore avant de nous quitter. Les cinq dernières, promis !

   Dans le précédent épisode ...

Excusez-moi ... Lors d'un précédent entretien, nous avions évoqué le fils utile (akh) à son père, le père utile (akh) à son fils. Comme Horus et Osiris !

   Le fils se devant de succéder à son père. Comme Horus par rapport à Osiris !

     Le fils aménageant la demeure d'éternité de son père. Comme Horus pour Osiris !

   Le fils vénérant le corps de son père. Comme Horus pour Osiris !

   Le fils pourvoyant au culte funéraire de son père. Comme Horus pour Osiris !

      

   Dois-je vraiment poursuivre ? Dois-je vraiment insister, mettre d'autres points sur les "i" d'Osiris pour déterminer avec vous les origines de cet amour filial que j'évoque depuis une semaine ?

   Ce serait de ma part, n'en doutez pas amis lecteurs, grandement injurier votre entendement ...

  

(Assmann : 1983 : 46-54 ; ID. 2033 : 80-95 ; Forgeau : 2010, 15-43 ; Mathieu : 2010, 77-107 ; Moret : 1931, 725-50)

  

   Au terme de notre rencontre de ce matin, permettez-moi d'adresser mes remerciements les plus appuyés à Tifet, une des fidèles lectrices de ce blog, qui m'a aimablement fait parvenir le cliché de la fécondation d'Isis ci-dessus provenant de ses trésors photographiques consacrés au temple de Séthi Ier en Abydos. 

   Et avant de prendre congé pour cette période de fin d'année que j'espère pour vous la plus agréable possible, c'est avec grande aménité que je vous souhaite à toutes et à tous une excellente fête de Noël : puissent les présents qui seront bientôt déposés au pied du sapin combler l'ensemble de vos désirs, des plus menus aux plus amples.

Richard