Des Moines, Iowa, le 3 janvier dernier. Il fait -26° dehors, la faute au blizzard qui n’en finit pas de souffler sur ces interminables plaines du Midwest américain. Le caucus démocrate doit se tenir le jour même, aboutissement de quatre semaines de campagne pour Seun Adebiyi, étudiant dans la prestigieuse Law School de Yale et volontaire dans l’équipe de Barack Obama.
Tapis dans l’ombre des succès et des défaites, on oublie facilement les volontaires. La trame narrative des grands média privilégie la simplicité et la lisibilité : des sondages, des pronostics, des résultats. Des personnalités charismatiques qui se défient et qui se combattent. Des couples d’oppositions (républicain/démocrate, libéral/conservateur, espoir/expérience, femme/noir…) qui structurent le champ politique. Des foules enthousiastes et des salles combles.
Derrière le momentum, à côté de la caméra, se cachent pourtant des milliers de volontaires, des étudiants, des travailleurs ou des retraités (la doyenne dans l’Iowa avait 95 ans). Relais locaux et petites mains des candidats, leur rôle est crucial : si Barack Obama -- alors quasiment inconnu -- a remporté le caucus de l’Iowa avec près de 38% des suffrages, c’est grâce à eux.
Ils ne se contentent pas de coller des affiches. Leur rôle ? Convaincre les indécis et prendre -- parfois littéralement -- l’électeur par la main pour le conduire au bureau de vote. Les primaires et les caucus ne rassemblant que peu de votants (10% en moyenne pour les premières, 3% pour les seconds - qui ne concernent que les membres encartés des partis démocrate et républicain), chaque électeur est important et peut faire la différence à l’heure du décompte final.
Les volontaires arpentent donc les villes et les villages, sonnent inlassablement aux portes (ils canvass dans le vocabulaire politique américain), et vont à la rencontre des habitants. A charge pour eux de séduire les indécis et les récalcitrants, en revenant plusieurs fois s’il le faut, en parlant d’espoir ou de changement, d’héritage ou d’expérience. A charge pour eux de recruter des nouveaux volontaires, qui étendront leur réseau et iront porter le Gospel de leur candidat.
Dans les Etats très peuplés, il est difficile de rencontrer tout le monde. Les volontaires ont alors recours aux cartes postales, aux emails ou au téléphone (phone-banking). A l’ère de l’internet, les équipes de campagnes ont tout prévu : chez Obama, il suffit de se connecter sur son site officiel, de sélectionner son Etat, de s’inscrire et d’appeler. Les conversations, souvent longues (une demi-heure) et animées, visent là encore à faire connaître, à persuader et à motiver. Les meilleurs – ceux qui dépassent les 200 appels -- verront leur nom s’inscrire au tableau d’honneur de la campagne.
Parfois, ils chantent même leur loyauté et leur amour. Les volontaires du Texas ne sont pas les moins enthousiastes. Regardez plutôt la première partie de cette vidéo...
Reste à s’assurer que tous se rendent aux urnes le jour du vote. Les volontaires décrochent leur téléphone, appellent ou se déplacent. Tel électeur a oublié, tel autre n’a pas de voiture, telle autre encore est trop âgée : il faut venir les chercher puis les amener jusqu’au bureau de vote.
Dans d’autres États, la suspicion règne : certains électeurs ont peur de se voir refuser l’accès au bureau de vote, d’autres n’ont guère confiance -- avec raison ! -- dans les machines électroniques, des Africains-Américains craignent qu’on ne les prive de leurs droits électoraux (disfranchize)… Place aux juristes qui s’assurent alors du bon déroulement de l’élection et qui vérifient la transparence du scrutin. Seun a ainsi repris son bâton de volontaire lors de la primaire de Caroline du Sud : dix heures de voiture depuis le Connecticut où il réside, une nuit sans sommeil et trois autres allongé sur des matelas de fortune, mais la satisfaction d’être présent le jour J et d’éviter que les fraudes ne se multiplient. En Caroline du Sud, on n’est jamais trop prudent.
Si la conscience politique conditionne l’engagement, les volontaires reviennent transformés par leur expérience. Seun a pris conscience de l’importance de la mobilisation populaire (grassroots), de ces petites actions qui, additionnées, forgent un mouvement et conduisent à la victoire. Il fait l'histoire, à sa propre échelle, et il se considère comme l'un des modestes artisans des succès récents de Barack Obama. Sa devancière à la Yale Law School, Hillary Clinton, se rappelle elle avec émotion de sa campagne au Texas lors de la présidentielle de 1972 pour le démocrate George McGovern. Elle s’y est même créée des amitiés durables, réactivées récemment à l’approche de la primaire décisive du 4 mars.
Devenez volontaires, nul ne sait où vous finirez…
Scopes