Conçus comme des sages chargés d'empêcher la nomination d'un candidat qui aurait su charmer les activistes du parti mais ayant peu de chances de l'emporter dans l'élection générale, les superdélégués font donc office de gardiens vigilants de l'électabilité. Avec l'intérêt général du parti en tête, ils doivent corriger toute dérive de la base. La source de leur pouvoir? Ils sont totalement libres d'accorder leur soutien à qui ils souhaitent. Non contraints, ils ne doivent se décider que par leur conscience et leur appréciation de la course, avec en vue une victoire sur les républicains.
C'est ce que s'est chargée de leur rappeler Hillary Clinton ce week-end, en déclarant dans le Wisconsin: "Les superdélégués font partie intégrante du processus. Ils doivent exercer un jugement indépendant". Elle se justifie évidemment en mettant en avant ce qu'elle considère comme une meilleure "électabilité" à l'élection générale que Barack Obama. Mais on sent certainement dans ces déclarations une pointe d'anxiété que cette catégorie, sur laquelle elle semblait régner (relativement) jusqu'à présent, ne lui échappe aussi.
En effet, certains de ces superdélégués ont choisi de déjà prendre position pour l'un ou l'autre des candidats. D'après le site RealClearPolitics.com, Hillary Clinton a déjà engrangé 239 soutiens de superdélégués, contre seulement 168 à Barack Obama. Pourquoi le faire si tôt? D'abord, il faut se souvenir que les endorsements sont un élément classique de toute élection présidentielle américaine. En le faisant, certains élus désignent pour le public les qualités qu'ils jugent comme étant celle que doit avoir le futur nominé. Le soutien de Ted Kennedy est dit être lié à son dégoût envers les tactiques incendiaires utilisées par Bill (lui aussi un superdélégué, d'ailleurs!) et Hillary Clinton sur le thème de la race juste avant la primaire de Caroline du Sud. Beaucoup d'élus de "red states", comme les Sénateurs Ben Nelson (Nebraska) et Claire McCaskill (Missouri), se sont déclarés en faveur de leur collègue de l'Illinois parce qu'ils jugent, de leur expérience, que lui seul pourrait remporter leurs états respectifs, Hillary Clinton étant trop "radioactive" pour beaucoup de modérés. Beaucoup de membres du Congrès se sont ralliés tôt à Hillary Clinton par fidélité personnelle, et la sénatrice de New York a su utiliser jusqu'à présent ses connections institutionnelles profondes pour s'assurer un certain confort sur ce front.
Mais les choses peuvent changer rapidement. Comment un candidat peut-il s'assurer le soutien d'un superdélégué? Principalement, 3 moyens: la fidélité, la peur, et l'intérêt. Le problème d'Hillary Clinton est que, depuis que le momentum n'est plus de son côté, elle souffre maintenant sur les deux derniers points. En effet, la fidélité de ceux qui lui sont proches ou ont travaillé pour l'Administration Clinton va certainement rester. Mais elle ne peut plus s'appuyer sur l'argument d'inévitabilité qui faisait que certains élus, même si pas convaincus de sa candidature, n'osaient pas s'y opposer de peur d'en souffrir après son arrivée (alors presque certaine à leurs yeux) à la Maison Blanche. Maintenant que la compétition est serrée, voire à son désavantage, ces élus ralliés par la peur se sentent un peu plus libres. Et ne voudraient pas non plus en pâtir si Obama devait être le prochain président, évidemment.
Reste l'intérêt. Celui-ci est un composant certainement mouvant. Pour beaucoup, tous les Représentants et un tiers des Sénateurs fédéraux, par exemple, il partageront le "ballot", la feuille de vote, avec le/la candidat(e) démocrate. Et certains craignent beaucoup que le nom d'Hillary en tête ne mobilise les républicains tout en démotivant certains démocrates, surtout les démocrates modérés et centristes. De quoi perdre une élection dans certaines circonscriptions arrachées aux républicains en 2006 en surfant sur la vague anti-Bush, et qui pourraient être tentées de repasser dans le giron du GOP... D'autres se rendent compte que leur circonscription a voté lors des primaires pour l'un alors qu'ils soutiennent ou pensaient soutenir l'autre (c'est le cas par exemple du Représentant David Scott de Géorgie, qui est passé du camp Clinton à Obama après des primaires où ce dernier a remporté 82% des démocrates de son district). Pour ceux qui restent en désaccord avec leurs électeurs (comme Carol Shea-Porter, soutien d'Obama dans un état qui a favorisé Clinton), un cas de conscience se pose: doivent-ils juger indépendamment ou se ranger aux voeux des électeurs qu'ils représentent?
Enfin, l'intérêt pousse une autre catégorie de superdélégués-candidats à ne pas prendre parti afin de ne ne pas s'aliéner une faction démocrate ou un certains nombre de volontaires potentiels. Ceux-là espèrent ardemment qu'un/une favori/te émergera rapidement, histoire qu'ils puissent mener leurs affaires dans leurs circonscription sans souffrir des divisions. Rester neutre est la choix le plus sûr.
Revenons donc à la question que nous nous posions au début: les superdélégués décideront-ils de l'issue de la convention? InBlogWeTrust n'est pas convaincu. Tout d'abord, évidemment, si Obama continue d'engranger les victoires (prochains arrêts: Texas, Ohio, Rhode Island et Vermont le 4 mars) et devient "inévitable", on pourrait voir un mouvement de masse des superdélégués vers lui, avec de nouveaux soutiens ou des changements d'allégeance. Mais surtout, InBlogWeTrust pense que beaucoup ne voudront pas aller à l'encontre du vote populaire. Même si l'un ne mènera son adversaire que d'une centaine de délégués (superdélégués exclus), il est probable que ce sera suffisant pour décider beaucoup de superdélégués. Après l'expérience de 2000 et la mise en avant du décalage entre vote populaire et collège électoral, les Américains sont devenus sensibles sur le sujet. Comme le dit la sénatrice Blanche Lincoln, de l'Arkansas: "les gens doivent savoir que leur vote compte" (elle s'est refusée à prendre parti pour le moment). Que les superdélégués désignent celui qui n'a pas la majorité du vote populaire, surtout dans un contexte où les deux candidats sont largement considérés comme tous deux "éligibles", alors une véritable révolte pourrait avoir lieu dans la base, ce qui ruinerait toute chance de victoire du parti divisé en novembre, tout en procurant un argument de campagne infaillible aux républicains ("vous voyez, ce ne sont que des membres de l'establishment qui ne respectent pas les électeurs"...).
En résumé: les superdélégués ont-ils du pouvoir? Oui. L'utiliseront-ils? Certainement, mais avec grande attention. Alors qu'ils devaient servir de soupape de sécurité au parti, la dernière chose que beaucoup d'entre eux souhaitent serait d'être les ferments de discorde et de défaite.
Signé: Amerigo