Brûlez ce que vous avez adoré : depuis quelques jours, les critiques déferlent sur Barack Obama. Hillary Clinton est la plus virulente : Obama serait trop jeune, trop inexpérimenté pour être « commander in chief », « all-hat, no-cattle », verbeux et sans substance. John McCain a suivi, dénonçant sa rhétorique et sa naïveté en matière de politique étrangère. Puis les média ont embrayé, comme un seul homme: pour Karl Rove (ancien deputy Chief of Staff de G.W. Bush – l’équivalent de Josh Lyman pour les inconditionnels de West Wing), Obama ne serait qu’un vil gauchiste (en dépit de son discours de rassemblement de la droite et de la gauche), partisan qui plus est. David Brooks (New York Times) le perçoit plutôt comme irréaliste, creux, et le « libéral [au sens américain] le plus prévisible du Sénat". Paul Krugman (New York Times encore) s’interroge lui sur le culte de la personnalité qui semble l’entourer. Et les autres blogueurs de suivre, dans ce qui ressemble à un réveil agité après des semaines de rêve paisible.
Go Down, Barack ! Le temps des prophètes s’est achevé. Vraiment ? InBlogWeTrust reste sceptique devant ce déferlement de critiques. Non que nous cherchions à défendre Barack Obama, mais les accusations qui se multiplient nous semblent en général peu réfléchies sont à replacer dans un contexte de "circulation circulaire de l'information" (Bourdieu).
Certes, certaines critiques se justifient : la personnalisation de la campagne présidentielle (une tradition américaine) semble parfois dériver en « culte de la personnalité » (Paul Krugman) fait d’évanouissements, de chansons glamours et de slogans porteurs. Quoiqu’on en dise, Obama n’est pas le messie et, comme il vient de le rappeler, il est conscient de ses défauts. Son expérience politique est moindre que celle d’Hillary Clinton et son programme en matière de sécurité sociale moins bien ficelé. Sa femme Michelle accumule les bourdes, bénignes (Barack sentirait mauvais au réveil) ou plus graves (elle a déclaré dernièrement être pour la première fois [nda : seulement] fière de son pays, réveillant de ce fait le patriotisme des Républicains). Enfin, même ses plus fervent supporters ont du mal à le soutenir: Kirk Watson, sénateur du Texas, n'a guère brillé sur MSNBC mardi soir...
D’autres critiques ne nous semble guère pertinentes : Barack Obama a élaboré un programme, remarquablement similaire à celui d’Hillary en matière d’économie et de santé et plus progressiste en matière d’immigration. Quand elle parle de son expérience politique, Hillary s’approprie celle de son mari (ses huit années à la Maison Blanche), ce qui est légitime, mais guère féministe de sa part... Les accusations de plagiat sont quant à elles ridicules, quand on sait que les phrases « volées » l’ont été à la demande de l’intéressé, le gouverneur du Massachusett Deval L. Patrick, vieux compagnon de lutte du sénateur de l’Illinois. Enfin, les références constantes d’Obama à Martin Luther King, de plus en plus souvent pointées du doigt, s’expliquent par son origine métisse/immigrée et par son désir de reconnaissance par la communauté Afro-américaine, lui qui justement n’est pas un héritier de la lutte pour les droits civiques des années 1950-1960.
La chasse à l’Obama est à mettre en perspective, et à comprendre dans un contexte plus large, celui de la sphère médiatique américaine. D’une part, grâce à ses dix victoires d’affilée, il s’est imposé comme le « front runner », le favori. Ses faits et gestes sont désormais scrupuleusement observés et décryptés, et les média n’hésitent pas à lancer l’hallali. Le favori est toujours le plus exposé : Hillary a ainsi été vertement critiquée à l’automne, lorsque sa nomination paraissait inévitable. Ses hésitations (flip-flop) en matière de politique migratoire (fallait-il ou non permettre aux immigrants clandestins de posséder un permis de conduire – qui fait office de pièce d’identité aux États-Unis ?) a fait la une des journaux pendant près de deux semaines… D’autre part, ses principaux critiques sont soit ses rivaux directs (Hillary Clinton et John McCain), soit des partisans engagés en faveur de Clinton (Paul Krugman), soit des éditorialistes conservateurs : Karl Rove était un conseiller de l’ombre bien connu pour son action en faveur de la guerre en Irak ; David Brooks représente la tendance « centre-droit » au New York Times.
Les électeurs ne semblent d’ailleurs guère tenir compte de ce nouveau climat médiatique. Barack Obama a devancé sa rivale de près de 17 points au Wisconsin et de 51 points à Hawaï. Il rattrape son retard au Texas et, pour la première fois, se positionne en tête à l’échelle nationale.
De manière subliminale, les critiques révèlent surtout, à notre sens, que la campagne sort tout doucement des primaires. Hillary combat avec l’énergie du désespoir (attention, elle n'est pas encore battue) sans même attirer un regard de John McCain qui préfère concentrer son feu sur Obama. Les enjeux étaient jusque là internes aux deux partis, Républicains et Démocrates. Une polarisation droite/gauche s’installe désormais et les couteaux s’aiguisent pour la présidentielle de novembre. Les combattants reconnaissent les leurs et se mettent en mouvement.
Enfin, InBlogWeTrust a été surpris de lire sur les blogs francophone des comparaisons entre Ségolène et Barack (complètement infondées à tous points de vue), des craintes devant l’aspect religieux d’Obama (il s’inscrit en fait dans une tradition rhétorique américaine et ne recueillerait de toutes façons pas plus de 5% des suffrages s’il avouait qu’il était athée) ou sur son côté centriste et rassembleur (d’une part, les électeurs américains aimeraient tourner la page de la férocité partisane de cette dernière décennie et d’autre part, il vient d’être qualifié de dangereux gauchiste – « socialiste » même, suprême infamie – par ses rivaux…). La campagne est à comprendre dans un contexte et dans une histoire typiquement américaine. Il n’est pas d’évidences qu’il ne faille répéter lorsque Bouvard et Pécuchet pointent à l'horizon.
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